Pour Imerys, la décarbonation passe aussi par le transport et l’achat d’énergie
Par Mehdi Arhab | Le | Industrie
Clotilde Vassault, directrice des achats de la BU Réfractaires, Abrasifs & Construction d’Imerys conduit une politique ambitieuse de décarbonation de ses transports en jouant sur le mix modal mais aussi en accompagnant ses prestataires dans la transition énergétique. Elle sera Grand Témoin de l’atelier « transport : comment embarquer vos prestataires dans la décarbonation », lors des Supply Days des 7 et 8 octobre à Deauville.
Imerys est un groupe qui ne fait pas grand bruit, mais c’est pourtant l’un des leaders mondiaux de son secteur : la production et la transformation des minéraux industriels. Le groupe emploie plus de 14 000 salariés et son chiffre d’affaires sur le dernier exercice fiscal s’élève à 3,8 milliards d’euros. Sur ces totaux, la branche « Réfractaires, Abrasifs & Construction » pèse pour 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires et compte 4 000 collaborateurs. La direction supply chain, qui en compte 250, couvre toute la partie S&OP, la partie exécution, aussi bien sur la gestion des flux amonts que des flux avals, ainsi que la partie service client - processus de prises de commande et suivi des livraisons. Elle est appuyée grandement par la direction des achats de la branche, pilotée par Clotilde Vassault. Elle a adressé en 2023 quelque 800 millions d’euros d’achats ; les matières premières représentent 40 % de ce portefeuille, l’énergie en représente 30 %, tandis que la logistique et le transport en représentent 15 %.
Les matières premières, achetées dans le monde entier, doivent évidemment être transportées ici et là. En effet, le groupe Imerys est présent partout dans le monde et la branche Réfractaires, Abrasifs & Construction regroupe une quarantaine de sites industriels répartis là-aussi sur l’ensemble du globe : en Chine, en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil, aux États-Unis et en Europe. « Selon la disponibilité des matières, nous devons aussi bien acheter en Europe, qu’en Chine, en Afrique du Sud, ou aux États-Unis par exemple. Une matière achetée en Europe peut servir à nos sites asiatiques ou américains ; une matière achetée en Chine peut aussi bien servir à nos sites européens et à nos sites américains et ainsi de suite … », explique la directrice des achats de la branche.
La décarbonation, un enjeu de premier plan
Nous comptons beaucoup de flux maritimes et routiers. En fonction des sites et de leur organisation, le routier peut représenter l’immense majorité de nos flux, tandis que le maritime représente le reste
Cette particularité liée au secteur sur lequel Imerys officie oblige les Achats à piloter finement les dépenses consacrées au transport. La branche Réfractaires, Abrasifs & Construction ne s’appuie que très peu, voire aucunement sur l’aérien et « ce parce que la valeur des produits ne le justifie pas », synthétise Clotilde Vassault. « Nous comptons de fait beaucoup de flux maritimes et routiers. En fonction des sites et de leur organisation, le routier peut représenter l’immense majorité de nos flux, tandis que le maritime représente le reste, expose Clotilde Vassault. Les transports en containers et en bateau vrac (NDLR : les marchandises ne sont pas conditionnées dans des boîtes ou sur des palettes) sont bien plus adaptés à la typologie de nos produits que ne l’est le transport aérien. »
Outre les impératifs de coûts et de délais, la décarbonation du transport est devenue pour la branche un sujet de premier ordre Réfractaires, Abrasifs & Construction (et Imerys) depuis de nombreuses années. Les Achats groupe et la direction des achats de la branche travaillent bien entendu main dans la main pour adresser le sujet. « Nos équipes d’acheteurs de matière première, de transport vrac et transport en container collaborent avec son équipe pour répondre au mieux aux enjeux de la branche et du groupe. Pour ce qui concerne le transport de vrac, la supply chain de la branche profite des contrats groupe négociés et mis à disposition par l’équipe du directeur achats logistique et transport du groupe, Joost van Moorsel. Pour ce qui est du transport routier, nous comptons une équipe d’experts locaux. Tous sont répartis dans nos principales régions et mettent à disposition de la direction supply chain différents contrats qui lui permettent de couvrir ses besoins locaux en matière de transport routier ».
En matière de décarbonation et de développement durable plus globalement, Imerys a décidé de s’investir activement. Face à l’urgence climatique, le groupe a défini une feuille de route climatique alignée avec l’Accord de Paris. En 2018 par ailleurs, Imerys a signé l’initiative Science Based Targets (SBTi) et aligné ses objectifs avec les données scientifiques actuelles. Le groupe s’est engagé à diminuer de 42 % les émissions de GES directes (scope 1) et indirectes (scope 2) générées par ses opérations (exprimées en tonnes équivalent CO2) d’ici fin 2030.
Nous achetons des produits dans certaines contrées qui servent nos sites du monde entier. Les transporter génère forcément des émissions importantes de gaz à effet de serre
« Nous travaillons également à réduire de 25 % nos émissions sur le scope 3 », complète Clotilde Vassault. Et le transport constitue évidemment une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. « Nous achetons des produits dans certaines contrées qui servent nos sites du monde entier. Les transporter génère forcément des émissions importantes de gaz à effet de serre. Il ne s’agit pas simplement de repenser nos achats de transport, mais bien de repenser aussi nos achats de matière première dans le monde entier. C’est comme cela aussi que nous pourrons réduire le nombre de kilomètres parcourus », assure la directrice des achats.
Changement de mix à venir
Le transport routier représente à ce jour le principal émetteur de carbone sur cette partie. Si de nombreux acteurs du secteur s’imposent des objectifs de réduction de leur empreinte sur leur scope 1 et 2, du fait de la pression mise sur l’écosystème par la réglementation, beaucoup de choses doivent et peuvent être faites. « Nous favorisons nous concernant des actions de groupage et nous avons également entériné un partenariat avec un transporteur routier français dont la flotte de camions fonctionne avec des biocarburants », indique Clotilde Vassault.
À terme la branche Réfractaires, Abrasifs & Construction entend réduire de façon considérable la part du transport routier longue distance au profit du rail et des barges. « Miser sur le flux ferroviaire au regard de nos objectifs fait tout à fait sens », soutient Clotilde Vassault. Un constat déjà partagé dans nos colonnes par Mercedes Ortiz Garcia, directrice supply chain de la branche.
Aux États-Unis et dans certaines autres régions du monde, Imerys use déjà de ce type de transport pour déplacer ses matières. « Nous menons actuellement une réflexion pour créer de nouvelles lignes de transport de ce type. Nous travaillons de sorte que notre mix modal inclut davantage de transport ferroviaire et maritime dès que le modèle économique le permet », témoigne la directrice des achats. En outre, depuis le 1er juillet, pour certains minéraux - perlite, bentonite, kaolin - Imerys approvisionne depuis son terminal au port d’Anvers-Bruges certains de ses clients par barges.
Des choix en cohérence avec sa politique sur les minerais. Les émissions de GES d’Imerys restent principalement liées à l’achat de matières premières et sont générées par sa chaîne de valeur. C’est la raison pour laquelle le groupe travaille avec ses fournisseurs afin d’identifier des leviers capables de minimiser ces émissions. « Nous travaillons avec des fournisseurs qui s’engagent à réduire leurs propres émissions carbones. Deux de nos partenaires clés, fournisseurs d’alumine, exploitée industriellement pour obtenir de l’aluminium dont la production émet le plus de gaz à effet de serre, ont opéré récemment un changement industriel d’envergure qui implique une méthode de transformation de la matière. Plusieurs étapes du processus nécessitent de faire réagir les composés à hautes températures et ces hautes températures sont atteintes principalement par combustion de fioul. Nos fournisseurs utilisent désormais des procédés qui introduisent du gaz plutôt que du fioul de manière à réduire leur empreinte carbone », illustre Clotilde Vassault.
La direction des achats de la branche a par ailleurs développé des partenariats avec des aciéries, à qui elle achète leurs déchets de production pour les intégrer dans certaines productions du groupe. Concernant la catégorie énergie, Imerys a contracté plusieurs PPA et achète de la biomasse. Cette énergie permet de fabriquer de l’électricité grâce à la chaleur dégagée par la combustion de matières (bois, végétaux, déchets agricoles, ordures ménagères organiques). « Aux États-Unis par exemple, nos fours de calcination qui fonctionnent au gaz ont été adaptés de façon à être alimentés par la combustion de déchets liés à la production de beurre de cacahuètes. Tous les brûleurs d’une de nos usines ont été mis à jour pour utiliser la combustion de graines de cacahuètes. Cette seule action permettra de réduire de 4 % les émissions carbones du groupe », se félicite la directrice des achats.
Des surcoûts à absorber
Sur le transport, recourir à des flottes électrifiées ou qui fonctionnent avec des biocarburants est plus cher. S’engager dans des démarches écoresponsables implique bien évidemment de lourds investissements pour les transporteurs
Tous ces choix ne sont toutefois pas neutres économiquement. Le groupe est contraint, le plus souvent, d’absorber des surcoûts. Une obligation à laquelle Imerys, qui pousse ses fournisseurs et partenaires transporteurs à se positionner sur des motorisations plus douces et à s’engager dans des démarches écoresponsables, ne se soustrait pas. La direction des achats le sait bien : pour aider le groupe à atteindre ses objectifs, elle doit s’engager à soutenir ses fournisseurs et les appuyer dans leurs actions. « Le coût de la décarbonation n’est pas neutre et il faut l’accepter. Sur le transport, recourir à des flottes électrifiées ou qui fonctionnent avec des biocarburants est plus cher. S’engager dans des démarches écoresponsables implique bien évidemment de lourds investissements pour les transporteurs, qui doivent s’équiper en conséquence et intégrer également les prix plus élevés des molécules alternatives », rappelle Clotilde Vassault.
Imerys ne compte bien évidemment pas faire machine arrière. Et plutôt que de se concentrer sur la réalisation de savings là où il ne peut y en avoir, la direction des achats veille avant tout à acheter aux meilleures conditions possibles. « Il est aujourd’hui difficile de dégager des gains de performance économique. Mais nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre notre marche vers la décarbonation. Des engagements ont été pris et il n’est bien entendu pas question pour le groupe de faire volte-face en niant la réalité du réchauffement de la planète. Ce qu’il faut, c’est aider nos fournisseurs à trouver les bonnes formules pour réduire leur empreinte carbone sans trop y perdre, et à terme, y gagner », estime Clotilde Vassault.