Stratégie supply

Danone : « Notre volonté n’est pas de décarboner vite, mais avec détermination et constance »


Quentin Bonnerot, Directeur Opérations Clients Danone France (cross-catégories) et Morgane Cottineau, en charge de l’animation et du pilotage de la feuille de route décarbonation logistique de Danone France, expliquent comment ils ont obtenu le label Fret21 pour la supply chain de l’ensemble des lignes de produits de Danone en France.

Quentin Bonnerot et Morgane Cottineau, Supply chain Danone France. - © D.R.
Quentin Bonnerot et Morgane Cottineau, Supply chain Danone France. - © D.R.

Quelle est l’impulsion de départ de votre programme de décarbonation de la supply chain ?

Quentin Bonnerot : Il y a deux ans, Danone a pris des engagements SBTI de réduction d'1,5 °C d’ici à 2030. Nous avons alors lancé un programme de décarbonation de notre logistique en France pour contribuer à l’atteinte de cet objectif. La logistique représente 8 % des émissions carbone du groupe dans le monde, 95 % des émissions logistiques de Danone en France sont liées au transport routier et 5 % à l’entreposage et au transport maritime. Nous avons commencé par définir une démarche de fond qui consiste à baliser les sujets année par année, puis nous avons compris que nous devions aller au-delà d’une seule démarche interne à Danone et qu’il serait intéressant de viser une labellisation Fret21.

Pourquoi ce label Fret 21 ?

QB : Cette démarche nous a permis de passer de l’annonce de la contribution de la logistique aux engagements SBTI à des leviers concrets, quelque chose d’activable, de compréhensible sur lequel nous pouvons créer de l’engagement. Il était intéressant d’aller vers une labellisation, à la fois pour booster nos compétences, monter le niveau d’exigence, ancrer culturellement le sujet de la décarbonation et avoir la capacité à expliquer en externe le sérieux de notre démarche.

Morgane Cottineau : La démarche de labellisation Fret21 nous a en effet permis de valider les efforts que nous avions déjà produits, tout en passant nos initiatives au crible de critères très précis. Fret21 nous pousse à nous interroger sur notre capacité de mesure et de pilotage, notre politique d’achats, notre capacité à engager nos fournisseurs, à optimiser nos opérations, à aller vers des nouveaux modes de transport, des énergies alternatives…

L’objectif que nous souhaitons atteindre, c’est 20 % de nos flux transportés avec des carburants alternatifs et continuer à déployer le rail

Qu’avez-vous découvert sur vos forces et faiblesses sur ce sujet ?

MC : Nos points forts relevés par le cabinet qui a audité notre dossier de labellisation ce sont tous les efforts que nous déployons pour embarquer notre écosystème. Nous devons en revanche progresser sur les carburants alternatifs. L’objectif que nous souhaitons atteindre, c’est 20 % de nos flux transportés avec des carburants alternatifs et continuer à déployer le rail au regard des raccordements de nos clients au réseau ferré.

Quels sont vos principaux leviers de décarbonation ?

QB : Ils sont de trois catégories : optimisation logistique, moyens de transport alternatifs et énergie alternative pour la route. L’optimisation logistique passe par l’amélioration des taux de chargement, via un travail en interne et avec nos clients. La diminution des distances parcourues, est plus complexe puisque, soit indépendante de notre volonté parce que liée à l’évolution des schémas logistiques de nos clients, soit liée à un redesign de nos schémas logistiques impliquant de profondes transformations en interne. Le levier de la baisse de la consommation de carburant, peut en revanche être actionné rapidement avec nos prestataires de transport.

Nous anticipons que la différence se fera plus sur le sujet des énergies alternatives

Ces cinq blocs de leviers sont-ils d’égal importance ?

MC : En 2024, nous travaillons plus sur la dimension optimisation logistique et au déploiement de carburants alternatifs type B100, HVO ou biométhane. Mais, petit à petit, nous anticipons que la différence se fera plus sur le sujet des énergies alternatives. Elles vont d’ailleurs prendre une part croissante dans le plan que nous avons bâti à l’horizon 2030.

Quel est le profil de vos prestataires transports ?

QB : Ce qui rend notre démarche de labellisation particulièrement ambitieuse est qu’elle s’applique à l’ensemble de nos produits : eaux, produits frais, produits de nutrition infantile et produits de nutrition médicale. A chaque catégorie de produits correspondent des périmètres logistiques différents. Nos eaux sont livrées à 85 % par des camions complets en direct depuis l’usine. Nos produits frais sont livrés avec une fréquence élevée, dictée par le schéma d’approvisionnement de nos clients en grande distribution. Nos produits de nutrition infantile et de nutrition médicale ont une livraison très atomisée auprès des pharmaciens, des établissements hospitaliers, des prestataires de santé à domicile, etc.

La nature de nos prestataires varie en fonction de ces différentes catégories : prestataires de transporteurs nationaux, ou régionaux ; répartiteurs ; prestataires de transport spécialisés…Reste le transport amont entre nos usines et nos sites logistiques, sur lequel nous travaillons avec des transporteurs français, à l’exception de nos usines à l’étranger.

Dans ce secteur, les marges sont faibles et les risques de défaillances élevés, nous préférons donc nous positionner dans une logique incitative que coercitive

Dans quelle mesure ont-ils les moyens de vous suivre dans vos ambitions de décarbonation ?

QB : Nous avons augmenté notre niveau d’exigence et intégré des critères environnementaux systématiques dans nos cahiers des charges de transport. Dans toutes nos discussions avec eux, nous faisons le point sur leurs engagements en matière de décarbonation. Mais, dans ce secteur, les marges sont faibles et les risques de défaillances élevés, nous préférons donc nous positionner dans une logique incitative que coercitive. La réduction de la consommation des carburants a été intégrée dans nos cahiers des charges, non pas comme un prérequis pour quiconque veut travailler avec nous, mais comme un sujet sur lequel nous demandons des actions et du reporting.

Pouvez-vous citer des exemples de cette démarche d’accompagnement ?

QB : Notre volonté n’est pas de décarboner vite, mais avec détermination et constance. Cet état d’esprit dicte nos choix en matière de déploiement d’énergies alternatives. L’an dernier, nous avons par exemple renoncé à ouvrir une première ligne en électrique parce que son coût était incohérent par rapport au marché du transport en énergies fossiles ou en B100 et donc pas durable. Depuis, nous avons pu revoir notre approche et nous devrions être en mesure d’ouvrir une ligne électrique l’an prochain pour de l’ultra-frais au départ de notre entrepôt de Chaponnay, à un coût plus raisonnable et dans un seuil qui nous semble acceptable pour faire l’apprentissage de l’énergie électrique.

Pour optimiser les taux de chargement, nous avons décidé d’augmenter l’utilisation de camions à double pont. Nous le faisons progressivement, en laissant aux transporteurs le temps de s’équiper et de se former à des modes de chargement et déchargement spécifiques. Nous adoptons la même démarche de dialogue et de collaboration pour envisager la réduction de la fréquence de livraison et du nombre de points livrés.

MC : Nous avons aussi conçu des outils tels que la fresque de la logistique, ou encore un Tool Kit Rail pour faciliter l’usage du fret ferroviaire. Après notre projet avec Carrefour et Evian, nous avons une idée assez claire de la manière de procéder. Le Tool Kit Rail liste les étapes, les acteurs à intégrer, les aides que l’on peut obtenir.

Générer une discussion sur ce que sera notre approche dans cinq ans. Nous n’aurons alors plus la même perception du prix d’une offre carbonée

Comment faites-vous évoluer la culture de vos prestataires de transport sur la décarbonation ?

QB : dans le cadre de notre plus important appel d’offres cette année, nous leur avons demandé de pitcher sur une étude de cas incluant un objectif précis et ambitieux de réduction du CO2. Nous l’avons fait pour obtenir de la performance sur ce point mais aussi dans une logique d’acculturation. Cela permet de générer une discussion sur ce que sera notre approche dans cinq ans. Nous n’aurons alors plus la même perception du prix d’une offre carbonée. Elle sera pondérée en considérant la sous-performance du transport via des énergies fossiles.

Quels dispositifs avez-vous mis en œuvre en interne pour générer et suivre vos actions ?

MC : Toutes les équipes logistique et service client sont impliquées dans les leviers d’optimisation logistique. Nous organisons des revues mensuelles de suivi des actions et nous calculons pour chaque action l’impact carbone en parallèle de l’impact coût. Nous utilisons des outils internes développés par le groupe pour mesurer l’empreinte carbone afin d’être en cohérence avec les autres mesures au sein du groupe qui sont consolidées dans un rapport annuel.

Pour les carburants alternatifs, ce sont les équipes achats qui sont aux manettes. Au moment des appels d’offres, chaque année, nous demandons aux transporteurs de proposer des solutions de transport alternatif et des offres de transport multimodal.

QB : Pour nourrir, ces discussions en interne, nous avons mis en place un Forum carbone animé par Morgane et dont je suis le sponsor. Nous y abordons trois sujets : la tenue de nos engagements à court terme en matière de performance opérationnelle, la projection sur les sujets sur lesquels nous devrons travailler à l’horizon un à trois ans et le déploiement de la culture décarbonation.

Outre le label Fret21, nous réfléchissons à déployer la fresque Demeter dans les équipes voire jusqu’aux opérateurs sur nos entrepôts. Nous voulons changer le paradigme coût, service et passer à un équilibre coût, service, carbone et cash.