Stratégie supply

François-Michel Lambert : « Nous devons créer une alliance autour de la supply circulaire »

Par Guillaume Trecan | Le | Green

Co-auteur d’un rapport sur les enjeux du développement d’une supply chain circulaire avec le cabinet Citwell, le président du cabinet Soroa, François-Michel Lambert, lance un appel à la constitution d’une coalition pour une économie circulaire. Fondateur de l’Institut pour une économie circulaire et ancien député, il invite en particulier les politiques à s’y associer.

François-Michel Lambert, président du cabinet Soroa, fondateur de l’Inec et ancien député. - © D.R.
François-Michel Lambert, président du cabinet Soroa, fondateur de l’Inec et ancien député. - © D.R.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de la nécessité de ce rapport pour une supply chain circulaire ?

L'économie circulaire représente un bouleversement de nos modèles de production et de consommation. Au lieu d'être dans un monde de ressources inépuisables, nous devons nous concevoir dans un monde de gestion de la rareté. Chaque européen consomme vingt tonnes de matières premières vierges par an. La planète a un équilibre estimé à six à huit tonnes par habitant.

Le monde que nous avons construit depuis le fordisme est fondé sur un accès facile, peu cher et quasi illimité à tout type de matière. Or l'économie circulaire c’est tout au contraire fonctionner avec des ressources vierges rares, les utiliser avec efficience - voire ne pas les utiliser - sans remettre en cause la croissance. De fait, l’approche organisationnelle et les supply chain ne peuvent pas être les mêmes. Tout cela doit être pensé et traduit en termes d’enjeux pour les acteurs publics.

Avec Anaïs Leblanc, directrice associée du cabinet Citwell, nous sommes en train de travailler à la constitution d’une coalition autour de la supply chain circulaire

Envisagez-vous des suites à cette initiative ?

Avec Anaïs Leblanc, directrice associée du cabinet Citwell, nous sommes en train de travailler à la constitution d’une coalition autour de la supply chain circulaire. C’est un sujet commun qui doit être développé en open source pour partager les travaux à venir. Nous avons besoin maintenant de produire, à destination des entreprises et des acteurs économiques, des éléments qui les aideront à faire pivoter leur supply chain vers le circulaire. Pour cela nous devons créer une alliance autour de la supply circulaire.

Pouvez-vous définir ce qu’est une supply chain circulaire ?

La supply chain ordinaire est à deux dimensions : l’usage et la fin de vie. On prélève, on transforme, on fabrique, on distribue, on consomme et on gère tant bien que mal la fin de vie. Dans la supply chain circulaire, on s’intéresse à la disponibilité des ressources et on cherche en permanence à utiliser au mieux ces ressources. Cela implique des boucles retour : recyclage, réintroduction dans le process industriel de composants, remanufacturing, partage d’usage, etc. De plus, il faut se projeter dans ce que sera l’état de cette ressource à l’avenir et s’il est judicieux de l’utiliser aujourd’hui, d’anticiper parfois son retrait d’usage. La supply chain circulaire est à quatre dimensions : les boucles retours, auxquelles se rajoute une dimension temporalité.

L’aménagement du territoire, la fiscalité, la réglementation, la formation, les comportements ont été pensés pour une économie linéaire

A qui est destiné ce plaidoyer ?

L’aménagement du territoire, la fiscalité, la réglementation, la formation, les comportements ont été pensés pour une économie linéaire et ne sont pas adaptés à une économie et à des flux circulaires. Nous nous adressons à ceux qui définissent ce cadre socio-économique, c’est à dire le monde politique.

Quelles évolutions du cadre législatif appelez-vous de vos vœux ?

Nous notons avec satisfaction le signe d’une prise de conscience dans la future loi Industrie verte. Ainsi, dorénavant, dans l’avant-projet du Sraddet (Schéma régional de développement durable et d’aménagement du territoire) que chaque région doit composer, il faudra intégrer une anticipation et une planification territoriale intégrant les besoins de la logistique et de l’industrie. Mais il manque le lien avec l’économie circulaire. La question de la localisation des implantations industrielles et des plateformes logistiques n’est pas associée à une réflexion sur la disponibilité et l’usage des ressources dans les territoires. Ainsi les Sraddet devraient inclure des indicateurs de baisse de consommation de matière vierge par région.

Il faut adapter l’organisation du territoire à l’utilisation efficiente des ressources locales disponibles

Dans quelle mesure l’aménagement du territoire est-il un levier pour la supply chain circulaire ?

Il faut adapter l’organisation du territoire à l’utilisation efficiente des ressources locales disponibles. Il va falloir sourcer en proximité des matières premières, qui seront soit natives du territoire, soit issues de la consommation. Pour cela, les flux devront être réarticulés à une maille beaucoup plus fine et beaucoup plus serrée. Cela implique des outils, des infrastructures physiques mais aussi des systèmes d’information pour définir comment et avec qui partager les ressources matières. Le politique a un rôle évident à jouer pour aider ce changement à travers l’aménagement du territoire.

Au-delà de ce point précis, nous avons identifié six clefs de réussite politique au déploiement de supply chain circulaire : interroperabilité des systèmes ; nouvelles infrastructures des SI ; conditions de monter en compétences et performances de l’écosystème ; stratégie de circularité haute ; éco-conception des flux.

Avez-vous identifié des initiatives pilotes exemplaires qui préfigurent ces supply chain circulaires ?

Le monde de l’industrie automobile est, à ce titre, très intéressant. Leurs chaînes d’approvisionnement se tournent vers leur capacité à garantir leurs approvisionnements notamment par des stratégies d’utilisation de matières recyclées, de réemploi de pièces de voitures en fin de vie pour fabriquer des voitures neuves. A cela se rajoute la « circularité haute » avec des stratégies de partage de l’usage.