Pierre Fabre : « Nous allons investir plus de 80M d’€ pour déployer un nouveau schéma logistique »
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Florent Tronquit est le directeur supply chain des laboratoires Pierre Fabre. Il pilote un vaste chantier de réorganisation du schéma logistique du groupe. Celui-ci se traduit par la construction d’une nouvelle plateforme logistique, des investissements de plus de 80 millions d’euros et une réorganisation des flux en France.

Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
En chiffres
Chiffre d’affaires 2023 : 2,83 Mds d’€ dont 70 % à l’international (120 pays)
Effectif total : 10 000 personnes
Effectif supply chain : 900 personnes
10 sites de production dont 8 en France
2 millions de commandes expédiées par an
2 actionnaires : Fondation Pierre Fabre (reconnue d’utilité publique) et salariés
Les laboratoires Pierre Fabre fabriquent des médicaments et des produits de dermocosmétiques, à 90 % en France mais 70 % de cette production est vendue à l’international. Quelle est votre organisation logistique actuelle ?
Aujourd’hui, en France, nous disposons de trois sites logistiques. Le premier, que l’on appelle Muret I, est en Haute-Garonne et vient de fêter ses cinquante ans. Il est consacré à la distribution des produits dermocosmétiques pour toute la France. Ce site n’est clairement plus adapté à nos besoins en termes de capacité, de hauteur, d’isolation des locaux, de conditions de travail etc. Notre deuxième site se situe à Ussel, en Corrèze. A l’instar de Muret I pour les dermocosmétiques, il est dédié à la distribution des médicaments pour l’ensemble du territoire français. Mais il joue aussi le rôle de plateforme primaire, et distribue nos médicaments vers nos entrepôts à l’étranger.
La fonction de plateforme primaire pour les cosmétiques est assurée, elle, par notre site Muret II (depuis 2017). Ce site reçoit tous les produits dermocosmétiques que nous produisons dans nos usines françaises et les redistribue ensuite à nos implantations internationales ainsi qu’au site Muret I pour les clients français.
Pour améliorer votre compétitivité et vos performances, vous avez annoncé récemment le déploiement d’un nouveau schéma logistique pour la France. Expliquez-nous.
Effectivement. J’ai rejoint les Laboratoires Pierre Fabre il y a quatre ans, après une carrière chez L’Oréal et Saint Gobain. Avec la gouvernance de l’entreprise, nous avons souhaité réfléchir à notre organisation et avec l’aide du cabinet Citwell, nous avons réalisé une étude approfondie de notre schéma logistique. Conclusion : notre organisation par typologie de produits n’était en réalité pas optimisée et méritait une refonte en profondeur.
Actuellement, nos clients pharmaciens par exemple peuvent recevoir deux livraisons Pierre Fabre dans la même journée, issues de deux plateformes différentes
Pourquoi ? Quel est le problème ?
Le groupe a une spécificité. Il s’appuie sur deux piliers, d’un poids quasiment égal : les dermocosmétiques et les médicaments. La plupart de nos 12 000 clients français achètent nos deux typologies de produits. Mais ils ne sont pas approvisionnés par le même entrepôt…. Actuellement, nos clients pharmaciens par exemple peuvent recevoir deux livraisons Pierre Fabre dans la même journée, issues de deux plateformes différentes. Avec donc pour les pharmaciens deux accueils de livreurs à assurer, deux cartons à ouvrir etc. Et pour nous, des couts de transport démultipliés et une empreinte carbone non optimisée.
Notre objectif est désormais de déployer une organisation en sites miroirs, c’est-à-dire des sites qui vont distribuer nos produits selon une segmentation géographique
Notre objectif est désormais de déployer une organisation en sites miroirs, c’est-à-dire des sites qui vont distribuer nos produits selon une segmentation géographique et non plus selon une répartition par typologie de produits comme nous le faisions jusqu’à présent. Cela signifie que nos plateformes françaises stockeront et distribueront aussi bien des cosmétiques que des médicaments. Demain donc, les pharmaciens que nous évoquions ne recevront plus qu’une seule livraison ce qui devrait faciliter leur travail et limiter les déchets. De notre côté, nous allons économiser en coût de transport grâce à la massification mais aussi grâce à la réduction du nombre de kilomètres parcourus. Et, point très important, les émissions de C02 vont être réduites de plus de 10 % grâce à la baisse des rotations de camions.
Au-delà de ces aspects de massification du transport, il y a probablement aussi un avantage en matière de management des risques, non ?
Tout à fait. La sécurisation de nos process fait partie intégrante des objectifs de cette réorganisation. Dépendre d’un seul site est assez risqué. Nous en avons d’ailleurs fait les frais assez récemment avec des problèmes de structure sur une de nos plateformes. Nous avions dû fermer pendant quinze jours. Heureusement les filiales internationales avaient le stock suffisant pour faire face pendant cet intervalle. Avec des sites miroirs, capables de gérer l’ensemble de nos produits, la situation sera plus sécurisée.
Concrètement, comment va se mettre en œuvre cette réorganisation ?
La première étape va correspondre au transfert de la fonction de distribution primaire des médicaments : nous allons ouvrir un nouveau site, dès le mois de mars prochain, dans le Loiret. Cette charge était assurée jusqu’ici par le site d’Ussel, elle va être déléguée à FM Logistique. Ce prestataire sera chargé d’assurer la distribution de médicaments vers les filiales dans le monde.
Nous allons mettre en place notamment un Autostore et renforcer notre mécanisation avec Ciuch et Dematic
Cela va nous permettre de libérer de la place à Ussel. Nous allons en profiter pour revoir l’organisation et les équipements. Nous allons mettre en place notamment un Autostore et renforcer notre mécanisation avec Ciuch et Dematic. Nous allons aussi mettre à jour notre WMS avec Manhattan et mettre en place un TMS. Grâce à toutes ces évolutions, ce site d’Ussel pourra donc accueillir les produits dermocosmétiques alors qu’il était jusqu’ici spécialisé dans les médicaments. Il s’agira de notre premier site multiproduit, courant 2026, qui pourra livrer les clients du nord de la France.
La deuxième étape consistera dans la construction d’un nouveau bâtiment près de Toulouse. Quelle est l’envergure de ce nouveau site ?
Ce nouveau bâtiment sera situé à proximité de la commune de Muret et mesurera 72 000 m², sur un terrain de 20 hectares. Il regroupera les activités de nos deux sites actuels de Muret. Il jouera à la fois un rôle de plateforme primaire pour les dermocosmétiques approvisionnement des filiales et de plateforme secondaire pour les dermocosmétiques et les médicaments pour le sud de la France.
Ce nouveau site devrait être opérationnel courant 2028 et représentera un investissement de 70 millions d’euros
Ce nouveau site devrait être opérationnel courant 2028 et représentera un investissement de 70 millions d’euros. Nous n’avons pas encore décidé si nous serons propriétaires ou locataires de ce bâtiment, en revanche une chose est certaine, nous l’opérerons nous-mêmes. Le site de Muret II était exploité jusqu’ici par ID Logistics mais nous avons réinternalisé depuis ce début d’année 2025.
Ce site sera également mécanisé et automatisé avec un système de gare, un appel d’offres sera établi ultérieurement. Nous allons aussi installer Manhattan sur cette nouvelle plateforme. Point important : ce bâtiment sera à énergie positive et contribuera donc à réduire significativement notre empreinte carbone.
Au-delà de la France, quel est le schéma logistique ?
Nous nous appuyons sur une quarantaine d’entrepôts dans le monde approvisionnés depuis nos plateformes françaises. Au total, la Supply Chain emploie environ 900 personnes dans le groupe, sans compter les prestataires. Nous avons environ 112 000 clients dans le monde et nous devons expédier deux millions de commandes par an.
Avez-vous constitué une « task force » sur ce gros projet de réorganisation logistique ?
Nous mesurons en permanence le niveau d’engagement et d’appropriation de ce projet par les équipes
Le schéma directeur a été construit avec le cabinet Citwel. Par ailleurs, nous avons en interne un centre d’excellence supply constitué d’une quinzaine de personnes et qui travaille sur différents aspects : l’immobilier, l’IT, les process, etc. Cette équipe a également une mission importante sur la conduite du changement, avec une personne dédiée à temps plein à ce sujet. Selon moi, il s’agit d’un enjeu majeur : il est nécessaire de maintenir la motivation et l’intérêt des équipes. Nous avons cartographié les impacts de tous ces changements sur nos process et sur les salariés : dans quelle mesure leur environnement, leurs conditions de travail, leur localisation, etc… vont changer. En fonction de ces impacts, nous avons construit un plan d’accompagnement personnalisé. Certains collaborateurs vont changer de métier, d’autres d’outils : cela nécessitera des formations et des mises à niveau. Nous mesurons en permanence le niveau d’engagement et d’appropriation de ce projet par les équipes. Il ne faut pas oublier que ces changements ne sont pas que techniques. Si les collaborateurs ne s’impliquent pas dans cette transformation, cela ne fonctionnera pas.