Club Supply Chain : Le mix modal évolue sous contraintes
Par Guillaume Trecan | Le | Multimodal
A l’occasion du 5e club de l’année, les invités du Club Supply Chain se sont réunis pour discuter des enjeux autour de leurs mix multimodal. Avec une même volonté, sortir des sentiers battus et trouver des alternatives aux méthodes actuelles, trop polluantes et encore optimisables.
Tandis que le mix multimodal national est composé aujourd’hui en France à 85 % par le transport routier, un tiers des chauffeurs sont attendus à un départ à la retraite dans les prochaines années. Emma Recco, une de nos témoins clés, directrice générale d’Ikea France, propose une solution pour contourner les problématiques de ce moyen en outre assez polluant. Depuis quelque temps, l’activité de son groupe se développe par voie fluviale sur l’axe Seine, loin d’être saturé et qu’elle encourage à exploiter. Le fabricant de meubles a ainsi récemment implanté un entrepôt sur le port de Gennevilliers, à partir duquel il livre ses magasins parisiens par voie fluviale, via le port de Bercy. Kris Danaradjou, directeur général adjoint au développement de Haropa Port, notre second témoin-clé de la soirée, est un des principaux acteurs du développement par l’axe Seine de la multimodalité.
L’exploitation du ferroviaire
Il insiste d’autre part sur le développement du ferroviaire, peu efficace quand les derniers kilomètres sont éloignés des gares. L’enjeu est de réactiver celles délaissées par le trafic au fil du temps, notamment dans les régions de Reims, Niort ou encore Angers. La France dispose historiquement d’un bon réseau de rails qu’il s’agit d’exploiter pleinement. Haropa Port a ainsi soutenu le projet de chantier de transport combiné à Fleury-les-Aubrais, proche d’Orléans, investissement de 10 millions d’euros couvert par la région Centre-Val de Loire pour 5 millions d’euros, l’Etat pour 4 millions et la région Normandie à hauteur de 1 million d’euros. Plus généralement, une mutualisation nationale doit être mise en place pour convaincre les opérateurs ferroviaires de s’investir dans ce type de projet, eux qui donnent régulièrement la priorité aux voyageurs, non intéressés par ces zones, au détriment du transport logistique.
L’ Etat, dont l’objectif est de doubler le rail, peine à tenir des engagements sur plus de cinq ans alors qu’ils nécessitent d’être déployés sur 20 à 30 ans
Mais ces initiatives ne vont pas sans certains freins à lever. « L’ Etat, dont l’objectif est de doubler le rail, peine à tenir des engagements sur plus de cinq ans alors qu’ils nécessitent d’être déployés sur 20 à 30 ans », pointait un convive, ce qui empêche de faire des choix de long terme en matière de mix modal.
Optimiser le flux maritime
Concernant le transport maritime, le problème réside dans le dernier kilomètre. Pour l’axe Seine, il porte plus précisément sur la cohabitation entre l’emplacement foncier et les riverains, dont il est difficile d’empêcher l’accès aux quais. Pour les ports, Kris Danaradjou souligne la difficulté d’organiser les flux à l’arrivée des grands services maritimes qui ont été désorganisés pendant les deux dernières années du fait de la situation du transport mondial. Un autre convive compare l’automatisation des ports allemands aux ports français « très en retard ». Là encore, des démarches collectives entre chargeurs, telles que celles portées par la communauté « France Supply Chain » semblent indispensables pour permettre l’émergence de ces plateformes multimodales.
Une décarbonation réalisable
Ces plateformes multimodales doivent aussi donner accès aux énergies décarbonées, en particulier pour la partie des flux qui part vers les ZFE et le dernier kilomètre, dont l’objectif est que 50 % des livraisons soient décarbonées. « L’enjeu est de rapprocher les usines des points de consommation », affirme Emma Recco, ce qui passe par une hyper individualisation des flux et le recours au cas par cas avec le vélo par exemple, ou encore par l’utilisation d’engins électriques comme le fait Ikea. Toutefois, ceux-ci « ont une autonomie limitée et réclament de la place pour des bornes de rechargement, ce qui est problématique », laisse-t-elle entendre.
Un convoi fluvial équivaut au stock de 250 camions
De manière plus générale, le multimodal doit permettre de réduire les effets de serre. La massification du transport fluvial en particulier, permettrait de grandes économies en émissions carbones, « un convoi fluvial équivalant au stock de 250 camions », note Kris Danaradjou. Un convive revendique d’autre part ses croyances en « une certaine décarbonation par la route, à travers l’arrivée de véhicules neutres ou la mise en place d’une taxe sur les camions vides comme il existe dans un autre contexte pour les logements vacants ». Il s’agit surtout de s’interdire au maximum l’avion, trop coûteux et polluant.
Décélérer pour mettre en oeuvre une mutualisation
L’heure est peut-être aussi au ralentissement des flux, après deux années perturbées par l’actualité et où la priorité était de livrer en temps voulu. Aujourd’hui, les camions arrivent parfois trop vite et s’entassent dans les entrepôts, comme l’évoque un invité, qui a dû louer des remorques de stockage pour plusieurs jours voire semaine.
Le monde du zéro stock et du flux tendu est dépassé depuis l’époque Covid
Au lieu d’une recherche continue de vitesse, il serait préférable, notamment dans le cas évoqué plus haut, d’utiliser le bateau pour réguler les flux. L’enjeu est de réussir à anticiper les activités pour combler le manque de souplesse de ce moyen, et de multiplier les partenariats, que ce soit avec les acteurs privés ou surtout avec les pouvoir publics et collectivités. Il est du rôle de ces derniers d’aider à -voire forcer- cette mutualisation et faire disparaitre les incertitudes sur le transport fluvial. « Le monde du zéro stock et du flux tendu est dépassé depuis l’époque Covid », rajoute un convive.
L’enjeu des datas
Enfin, notre dernier axe de réflexion portait autour des données à disposition. Là encore de grands progrès restent à réaliser. Alors qu’il est primordial de connaitre ses datas pour piloter ses choix, « les informations manquent sur le prix réel de toute la chaine de transports, au sein de laquelle les opérateurs maritimes et ferroviaires sont trop segmentés », souligne un convive.
Un grand remerciement à nos sponsors Rhenus Logistics et Here Technologies.