Stratégie supply

Yann de Féraudy : « Nous préconisons d’adopter un coût du carbone autour de 200 euros la tonne »

Par Guillaume Trecan | Le | Green

Le président de l’association France Supply Chain invite ses confrères à revaloriser significativement la valeur de la tonne carbone, en anticipant une trajectoire inflationniste de toute façon inévitable. Un moyen de rendre les business plans de leurs projets de décarbonation plus solide. Il sera Grand Témoin lors des Supply Days des 7 et 8 octobre à Deauville, sur l’atelier-débat : « décarbonation : quel est le juste prix de la tonne de CO2.

Yann de Féraudy, président de France Supply Chain. - © D.R.
Yann de Féraudy, président de France Supply Chain. - © D.R.

Qu’est-ce qui détermine actuellement le prix de la tonne carbone ?

Le prix de la tonne carbone et ses variations sont influencés par des facteurs économiques - notamment le cours des hydrocarbures - et par des facteurs politiques, en particulier les réglementations. En juillet 2024, le prix du carbone sur le marché européen était de 69,15 euros par tonne, après avoir atteint un sommet à 71 euros en février 2024. Il stagne actuellement autour de 70 euros.

Pourquoi avez-vous mis au menu des réflexions de France Supply Chain ce sujet du prix de la tonne carbone ?

Dans notre Manifeste, nous préconisons d’adopter un coût du carbone autour de 200 euros la tonne. Nous sommes convaincus qu’il doit dépasser cent euros la tonne pour que des projets ambitieux voient le jour. A minima, nous suggérons aux directions supply chain d’adopter un prix du carbone et de le mettre dans leurs analyses et leurs décisions. De grands industriels membres de notre association se situent entre 100 et 200 euros la tonne. Nous pensons en effet qu’à horizon 2030-2050, ce prix va exploser. L’Union européenne prévoit que la tonne carbone atteindra les 140 à 160 euros d’ici à 2030. La Banque de France estime qu’elle peut atteindre selon certains scénarii, jusqu’à 350 euros et l’association Middlenext, recommande de fixer un prix du carbone en ayant à l’esprit qu’en 2030, il atteindra 250 euros et en 2050, 750 euros. Pour réaliser des investissements de longue durée, il faut donc s’inscrire dans cette perspective.

Mais ce n’est qu’une recommandation. Pas mal de sociétés n’ont pas encore fixé de prix interne du carbone. D’autres, parfois les mêmes, défendent que les projets doivent être rentables par eux-mêmes sans subvention ou artifice.

Les investissements liés à la décarbonation doivent reposer sur des business cases avérés

En quoi rehausser le prix de la tonne carbone peut-il favoriser les investissements ?

Les investissements liés à la décarbonation doivent reposer sur des business cases avérés. Ils font appel à des technologies de rupture dont le surcoût ne peut se justifier qu’à concurrence du nombre de CO2 qu’elles font économiser. Si le niveau de la tonne de carbone n’est pas assez élevé, le business case ne sera pas assez attractif. En revanche, s’il est suffisamment élevé, l’entreprise aura tendance à considérer différemment le ROI du projet, ce qui facilitera une prise de décision dans le sens de la décarbonation. Cela va ouvrir un champ pour de nouveaux projets et leur permettre de passer la barre des comités d’investissement qui se décident sur la base de la crédibilité et du niveau du ROI.

Pourquoi les directeurs supply chain ont-ils intérêt à être en avance sur ce sujet ?

Lorsque cette évolution sera avérée, tous les investissements vont devenir plus attractifs. Les entreprises veulent-elles être en position de suiveur sur ce sujet dans un contexte plus tendu ou être à l’avant-garde ? En restant en dessous de 100 euros la tonne ou sans utiliser ce facteur, peu de projets projet se font, il faut plus collaborer avec les parties prenantes - fournisseurs ou clients - et tirer les coûts. Cela étant posé, une entreprise mieux-disante par rapport à une grille CSRD sur des enjeux environnementaux aura plus de facilité à justifier ses investissements auprès des investisseurs.

L’équipement en question sera encore utilisé lorsque le prix de la tonne de carbone aura augmenté

Pour quel type de projets cette démarche vaut-elle la peine d’être adoptée ?

Ce sont souvent des projets d’investissement assez lourds dans des outils de process qui ont trait à la consommation d’énergie. Dans ce cas, la question ne se pose pas, puisque l’équipement en question sera encore utilisé lorsque le prix de la tonne de carbone aura augmenté. Pour des investissements dans des véhicules aux motorisations alternatives dont la durée de vie est plus incertaine, notre proposition est peut-être plus audacieuse. Mais cela permet de ne pas sacrifier sur l’autel du seul coût à la tonne transportée des transporteurs verts dont les solutions ne manqueront pas de s’imposer. Je pense en particulier aux camions électriques. C’est aussi un moyen de remettre en question des sourcing lointains, en mettant en évidence le coût des externalités négatives (CO2 valorisé en euro).

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