Stratégie supply

Carrefour : « Nous gagnons de l’argent en décarbonant »

Par Guillaume Trecan | Le | Green

Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier spécial Supply Days : ou quand la Logistique & le Transport sont au coeur des préoccupations

Pour initier les débats des Supply Days Green, Transport et Logistique des 7 et 8 mars à Deauville, Thierry Quaranta, directeur de la transformation durable de la supply chain de Carrefour en France conduit une politique de décarbonation financée par les économies qu’elle génère, voire dégage des gains supplémentaires. Revue détaillée avec illustrations précises. Thierry Quaranta sera Grand Témoin de l’atelier-débat #Finances : quel budget pour décarboner votre supply chain, le jeudi 7 mars à 15h30.

Thierry Quaranta, directeur de la transformation durable de la supply chain. - © D.R.
Thierry Quaranta, directeur de la transformation durable de la supply chain. - © D.R.

En quoi consiste votre fonction ?

En décembre dernier, lorsque nous avons fusionné e-commerce et non alimentaire sous une seule organisation One Supply en France, nous avons également décidé de dédier un poste à plein temps pour piloter la transformation durable de la supply chain. Je m’y applique, fort de mes dix années d’expérience à la tête de la direction des opérations transport et logistique alimentaire France, au sein du groupe Carrefour.

Quelles sont les missions inscrites à votre feuille de route ?

Jusqu’en septembre 2024, je dois d’abord m’assurer que nos magasins continueront à être bien approvisionnés pendant les Jeux Olympiques de Paris. Parallèlement, nous devons aussi accélérer la décarbonation de nos transports pour atteindre l’objectif de 100 % de transports décarbonés d’ici 2030. Tous les fournisseurs qui veulent travailler avec Carrefour doivent mettre en œuvre des solutions décarbonées et je suis là pour les accompagner dans cette voie. Cela ne concerne pas seulement le type de carburant qu’ils utilisent mais aussi la manière dont nous passons nos commandes pour optimiser le taux de remplissage du camion. La décarbonation s’applique aussi à nos entrepôts à travers des leviers de sobriété énergétique et une amélioration des normes. Nous travaillons aussi à la réduction de nos emballages. Nous voulons valoriser en amont nos déchets, tout en réduisant les quantités de plastique, en gérant mieux nos emballages, nos palettes, nos rolls.

Sur le volet inclusion, nous avons aussi pour ambition de rendre accessibles nos métiers de la logistique et du transport à des personnes en situation de handicap en aménageant nos postes de travail et en modernisant nos outils de production. Enfin, nous voulons faire progresser la féminisation de nos métiers en atteignant 35 % de femmes dans les comités de direction de nos sites et en augmentant sensiblement notre taux de féminisation sur des fonctions d’opérateur logistique.

Sur quels leviers vous appuyez-vous pour réussir la décarbonation de la supply chain de Carrefour ?

Nous avons choisi, en 2012, de passer en biométhane pour décarboner notre transport. Nous sommes un transporteur très important, avec 4 000 camions sur la route tous les jours. Cela implique un investissement matériel initial mais nous avons ensuite enregistré des gains. Actuellement 750 camions roulent au biométhane. Avant même le déploiement total du biométhane ou de l’hydrogène, nous travaillons sur une énergie décarbonée à 90 % avec notre filiale Carfuel.

Nous chargeons au maximum de la capacité de nos camions. Cela nous a permis d’optimiser nos tournées tout en réduisant le coût du transport

Après cette première étape, nous avons fait en sorte de supprimer de l’affrètement pour faire tourner nos camions à une fréquence plus élevée de deux à trois trajets par jour. Nous avons beaucoup travaillé sur le taux de remplissage volumique des camions. Nous faisons aujourd’hui des palettes de 2 m 40 avec un support spécial, car en magasin les palettes ne doivent pas dépasser 1,80 m pour être correctement déchargées. Nous chargeons au maximum de la capacité de nos camions. Cela nous a permis d’optimiser nos tournées tout en réduisant le coût du transport.

En ce qui concerne l’électrique, nous avons actuellement cinq véhicules en Île de France, nous serons à dix au moment des JOP et notre flotte va continuer à croître. Au prix d’achats, ces véhicules sont effectivement plus chers. Mais, il faut tenir compte d’autres paramètres, tels que les tarifs respectifs de l’électricité et du diesel, ou encore la baisse de la pollution sonore qui nous permet de livrer plus souvent en centre-ville, en avançant nos livraisons plus tôt dans la nuit.

Environ 20 % de nos 1 800 semi-remorques frais utilisent aujourd’hui de l’azote et le reste du GNR. Nous orchestrons progressivement la transition du GNR vers l’azote et l’électrique quand cela est possible.

Nous avons encore une grande marge de progression en déployant ces leviers à grande échelle

Pourrez-vous maintenir jusqu’au bout ce principe de décarbonation à coûts constants voire à moindre coûts ?

Nous avons démontré aujourd’hui que nous gagnons de l’argent en décarbonant et nous avons encore une grande marge de progression en déployant ces leviers à grande échelle. Sur nos 60 sites en France, les deux-tiers suivent déjà cette trajectoire. Nous avons également la capacité à entraîner d’autres pays, comme par exemple l’Espagne, en leur présentant un projet en coût complet accompagné d’un schéma d’exploitation.

Pour faire baisser notre consommation électrique, après avoir mis en place de la GTC (Gestion technique centralisée), dans une deuxième étape, nous allons travailler à rendre nos sites autonomes en électricité. Mais nous restons néanmoins fidèles à notre principe d’une décarbonation de la logistique qui ne coûte pas plus cher.

Quels sont les outils de pilotage dont vous disposez pour piloter votre décarbonation en TCO ?

Nous avons maintenant des outils de pilotage, des tableaux de bord qui nous informent sur ce que nous avons consommé, ce que nous produisons en tonnes de CO2. Le groupe Carrefour est très vigilant à la traçabilité de ses données dans une optique de recherche de performance. Tous les camions qui arrivent ou qui sortent de nos entrepôts sont analysés sous tous les angles. Chaque mois, je contribue à une revue de performance sur la transformation durable en remontant les actions de terrain sur la décarbonation afin de les évaluer et de les améliorer. Nous avons beaucoup automatisé la data, de sorte qu’elle soit simple à traiter. Nous nous appuyons sur une Digital Factory qui produit toutes les analyses dont nous avons besoin. Une part de cette data vient bien sûr du déclaratif de nos transporteurs qui y contribuent car ils sont animés par une volonté de transformer les choses que nous impulsons.