Stratégie supply

La logistique urbaine durable prend corps dans les territoires

Par Guillaume Trecan | Le | Green

43 collectivités territoriales françaises ont à ce jour mis en place une concertation pour préparer la mise en œuvre des ZFE. Dans le cadre du programme Interlud, ces groupes de travail sont en train d’achever leurs audits et vont passer à l’action. Seul bémol, les chargeurs brillent par leur absence dans ces groupes de travail.

La deuxième édition des Rencontres Interlud s’est tenue à Paris, le mardi 4 octobre. - © D.R.
La deuxième édition des Rencontres Interlud s’est tenue à Paris, le mardi 4 octobre. - © D.R.

Lancé en octobre 2020, le programme Interlud permet aux collectivités territoriales et aux acteurs économiques locaux d’être accompagnés dans la remise à plat de leurs schémas de logistique urbaine durable concertés. A termes, à la fin de l’année 2022, ce programme ambitionne la rédaction de cinquante chartes d’engagements dans quinze métropoles, 25 communautés d’agglomération et dix petites communautés d’agglomération. A ce jour 43 EPCI ont signé une convention, dont 14 supérieurs à 250 000 habitants et parmi lesquels 65 % n’avaient jamais engagé de démarche logistique urbaine.

Au comité de pilotage du programme figurent L’Ademe ; le Cerema ; Rozo, une société de conseil en performance énergétique ; Logistic Low Carbon, une filiale de la Confédération des grossistes de France (CGF ex-CGI) ; la DGEC et la DGITM. Ils apportent à ces collectivités territoriales une aide financière sous forme d’accompagnement méthodologique, d’outils et de formation, notamment grâce aux partenaires financiers du programme Interlud : Dyneff, Total Marketing France, Auchan Energies et Rubis Antilles Guyane.

Pas de logistique urbaine durable sans concertation

L’enjeu de ce programme est évidemment d’instaurer un espace de concertation entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques acteurs ou utilisateurs de transport. « Il n’y aura de logistique urbaine que s’il y a concertation et il n’y aura de concertation effective que s’il y a, au cœur, les fédérations professionnelles qui permettent de structurer la représentation professionnelle. Ce travail de structuration des représentations professionnelles permet de faire en sorte que tous les secteurs qui sont directement concernés par la logistique urbaine font partie du tour de table », confirme Yann Tréméac, chef adjoint au service Transport & Mobilités Ademe.

C’est un dossier dans lequel nous gérons un certain nombre d’intérêts contradictoires

« La logistique urbaine est un sujet très compliqué, à la croisée de nombreuses politiques publiques avec des ambitions très différentes - en matière d’urbanisme, d’aménagement, de qualité de l’air, de renaturation de la ville, d’apaisement des mobilités… - et vous avez autour de la table un certain nombre d’acteurs institutionnels publics ou privés qui ont également leurs propres ambitions et leurs besoins », confirme Béatrice Agamennone, vice-président d’Eurométropole Metz, qui résume : « c’est un dossier dans lequel nous gérons un certain nombre d’intérêts contradictoires. »

L’absence remarquée des chargeurs

Dans chacune des collectivités participant au programme, les réunions de travail, notamment pour réaliser des audits des flux logistiques urbains ont réuni plusieurs secteurs professionnels représentatifs de l’activité économique sur le territoire de la collectivité : grande distribution ; restauration et cafés ; bâtiment ; petits commerces ; gestion des déchets et recyclage ; transporteurs ; distributeurs grossistes ; artisanat et réparation. « Nous sommes convaincus que c’est par ce dialogue organisé entre nous, grossiste et les acteurs publics, mais aussi avec d’autres acteurs privés, que nous pouvons prendre les solutions là où elles se trouvent pour tendre dans le futur vers une solution logistique durable », Georges Eric Clary, directeur de TerreAzur Pays de la Loire filiale du groupe Pomona.

Les chargeurs sont un peu moins représentés que les autres, sans doute pour des questions de sensibilisation

Malheureusement plusieurs témoins ont regretté l’absence des chargeurs dans ces espaces de concertation. « Les chargeurs sont un peu moins représentés que les autres, sans doute pour des questions de sensibilisation. Les industriels qui ne sont pas directement implantés dans les centres urbains ont du mal à comprendre l’impact que cela pourra avoir sur leur propre business », regrette Christophe Schmitt, directeur des relations institutionnelles du groupe Heppner. Ce dernier rappelle au passage les conséquences que pourraient avoir l’entrée en vigueur des ZFE pour des industriels : difficulté d’accès aux entrepôts sur le périmètre des ZFE, frein à l’accès sur site pour les salariés.

Importance de l’e-commerce et de la reverse logistique

A Nantes, le programme Interlud a permis de financer un emploi à temps plein consacré à la coordination des différents acteurs de cette concertation. Dans cette métropole, le sujet de la logistique urbaine est sensible puisqu’il représente 20 % des flux, mais est à l’origine de 30 % de la congestion du transport. Parmi les éléments mis en avant par le diagnostic, la découverte que 37 % des 5 700 mouvements observés dans la ville sont liés au commerce internet.

Autre exemple, à Metz, le programme Interlud s’est traduit par six mois de dialogue et plus de 250 interventions afin de réaliser un audit complet des flux logistiques urbains qui vient de s’achever. Ont été passés au crible les flux de transport, les volumes de marchandises, les pratiques des livreurs, des commerçants, les aires de livraison… En ressortent quelques évidences, à commencer par l’importance des flux de reverse logistique à prendre en compte, ou encore la complexité du tissu urbain local très dense, qui justifie, voire impose, cette démarche de décarbonation des flux.

Le diagnostic a aussi permis de recenser les innovations déjà à l’œuvre dans les pratiques de livraison, qu’il conviendrait de généraliser, comme, par exemple, la mutualisation des livraisons. Un schéma directeur des aires de livraison, qui s’avèrent, trop souvent, pas aux normes ou mal adaptées, va également suivre, il sera accompagné d’une série de fiches actions et fiches expérimentation.

Le choix crucial de la motorisation et des gabarits

Si les pouvoir publics peuvent adapter leurs projets en matière de circulation et d’équipements urbains en fonction des résultats du dialogue instauré dans le cadre d’Interlud, une grande part de la solution reste à la main des chargeurs et des transporteurs. Et ils ont encore à franchir de sérieux obstacles pour décarboner leurs flux. Le directeur transport de Monoprix, Cédric de Barbeyrac, en rappelle les deux freins majeurs identifiés par l’enseigne de grande distribution spécialiste des centres ville.

Aujourd’hui, nous nous sentons piégés comme nous avons investi dans le gaz, par ce que nous avons des tournées qui coûtent 50 % plus chers

Le premier est l’évolution du prix des carburants et en particulier du GNL, dont le prix du mètre cube a été multiplié par cinq dernièrement. « Aujourd’hui, c’est le seul véhicule qui, dans le périmètre des ZFE permette d’obtenir une vignette Crit’air1 », note Cédric de Barbeyrac, qui doit faire face à une problématique d’investissement. « Aujourd’hui, nous nous sentons piégés comme nous avons investi dans le gaz, par ce que nous avons des tournées qui coûtent 50 % plus chers. Nous avons une véritable tentation de retour au diesel, mais il faut tenir bon. » 

Le second problème étant lié au gabarit des véhicules que les villes voudraient voir de plus en plus modestes, en dépit du bon sens écologique. « Mieux vaut un camion avec 21 palettes, ou 26 tonnes plutôt que 15 camionnettes  », note le directeur transport de Monoprix, qui poursuit : « c’est en limitant le nombre de véhicules que l’on peut convertir et investir dans des technologies plus intéressantes. »