Manutan : « construire un modèle économique viable basé sur l’économie circulaire »
Alexandra Samyn, directrice des opérations de l’économie circulaire de Manutan explique comment elle construit le modèle économique de l’économie circulaire au sein du groupe en élaborant un modèle logistique fondé sur un partage de valeur équitable avec les prestataires de collecte. Elle a porté ce témoignage dans le cadre des Supply Days des 3 et 4 juin à Deauville.

Pouvez-vous nous décrire la boucle d’économie circulaire que vous avez élaborée pour commercialiser des produits de seconde main ?
Les principales étapes de cette boucle sont dans l’ordre : le sourcing, la collecte, la réception, le reconditionnement, le référencement, la mise en stock et la mise en ligne sur nos sites. L’offre de seconde main est déployée progressivement dans nos 17 pays en Europe et déjà disponible sur nos sites internet français, belge, néerlandais et très bientôt italien.
La quantité a son importance car lisser les coûts de collecte sur vingt pièces ou sur 500 n’a pas le même impact
Quelle logistique avez-vous mise en place pour capter les ressources de meubles éligibles à une seconde vie ?
Le sourcing est le nerf de la guerre. La principale difficulté du marché de la seconde main consiste à accéder à des gisements qualitatifs et quantitatifs. La quantité a son importance car lisser les coûts de collecte sur vingt pièces ou sur 500 n’a pas le même impact. Quant à la qualité, elle est un facteur clé de succès. Reconditionner du mobilier en bon état ou de marque est plus facile et donc moins coûteux.
Nous développons aujourd’hui plusieurs pistes d’approvisionnement. La première source, ce sont des entreprises qui souhaitent que nous récupérions leur mobilier dans le cadre d’un réaménagement de leurs bureaux. Par ailleurs, nous proposons à nos clients ayant acquis du mobilier neuf de les accompagner dans la gestion de leur mobilier existant.
Dans le cadre de la relation que nous construisons avec notre écosystème de fabricants, nous leur proposons également une offre de reprise du mobilier qu’ils ne commercialisent plus : récupération, reconditionnement, revente, etc. Au sein de la filière des DEA, nous travaillons également avec l’éco-organisme Valdelia, qui a accès à du mobilier pouvant être réemployé. Enfin, nous développons progressivement des relations avec des déménageurs qui sont une source d’information précieuse sur les gisements de meubles.
Comment gérez-vous la collecte de ces produits ?
Avec le transport aval, la collecte et le reconditionnement, qui inclut le diagnostic, le nettoyage et le référencement, représentent les principaux postes de coûts. Nous pratiquons avec nos partenaires ce que nous appelons une « collecte préservante », l’objectif étant de préserver au maximum la valeur du mobilier entre le lieu de collecte et notre centre de réemploi. Cela implique notamment de s’assurer que le démontage n’altère pas le produit.
Sur le site de collecte, nous scindons les flux entre ceux qui peuvent être réemployés et qui sont transportés vers notre Hub Circulaire et ceux qui ne le sont pas
Contrairement aux brokers, nous gérons l’ensemble du mobilier du client. Nous faisons donc, sur place, le tri des produits entre ceux que nous captons pour notre Hub, que nous ne plaçons pas dans notre cœur de cible mais qui peuvent avoir une valeur marchande pour des partenaires de revalorisation, que nous destinons aux dons associatifs et ceux que nous orientons vers le recyclage. Sur le site de collecte, nous scindons les flux entre ceux qui peuvent être réemployés et qui sont transportés vers notre Hub Circulaire et ceux qui ne le sont pas. En logistique, moins le produit est manipulé, plus l’opération est économiquement performante. Cela nous évite de supporter des frais de collecte pour du mobilier hors périmètre.
Plus que des prestataires, les entreprises qui réalisent cette collecte sont pour nous des partenaires avec qui nous travaillons pour rechercher le bon équilibre économique. Le coût de main d’œuvre de manutention lors de la collecte constitue le poste le plus important. Nous devons à la fois optimiser les coûts pour rendre la seconde main économiquement viable, tout en assurant une prestation de qualité : les produits arrivent dans notre Hub sans altération depuis le site de collecte.
Un meuble que nous récupérons est souvent emballé déjà monté, donc plus exposé aux aléas du transport
Quels sont les enjeux du transport aval ?
Ce sont des enjeux liés à l’emballage et à la qualité du transport. L’emballage d’un vestiaire ou d’une armoire sortis d’usine est optimisé, tandis qu’un meuble que nous récupérons est souvent emballé déjà monté, donc plus exposé aux aléas du transport. Côté transport, nous nous efforçons de nous insérer autant que possible dans des flux classiques de messagerie et d’affrètement.
Quelles étapes reste-t-il avant leur mise en vente sur vos sites ?
La première étape du reconditionnement commence dès le diagnostic d’entrée. En fonction de critères esthétiques et fonctionnels, nous attribuons au produit un grade interne, déterminant son cycle de vie dans notre Hub : nettoyage puis mise en stock, ou bien réparation, commande d’une pièce de rechange voire transformation au préalable. Le « reconditionné par Manutan » désigne des produits 100 % fonctionnels, pouvant présenter des traces d’usage.
Nous devons également passer par l’étape clé du référencement. En tant que distributeur de produits neufs, nous référençons les produits à partir de fiches techniques et d’informations fournies par nos fournisseurs. Ce qui est relativement facile. Mais, lorsqu’il s’agit d’un produit de seconde main collecté, la tâche est plus complexe. Ne connaissant pas forcément ce produit, nous nous appuyons sur une équipe dédiée au référencement. Là encore, nous cherchons à identifier des gisements importants pour optimiser la charge de travail liée au référencement.
Nous avons ouvert, au Bourget, il y a un an un Hub Circulaire dédié au réemploi de mobilier
Sur quel dispositif d’entreposage vous appuyez-vous ?
Nous avons ouvert, au Bourget, il y a un an un Hub Circulaire dédié au réemploi de mobilier. constitué d’un entrepôt principal à Gonesse à un quart d’heure de distance et d’un deuxième entrepôt aux Pays-Bas. Ce qui nous place au carrefour logistique des flux européens entre la France, la Belgique et les Pays-Bas. La question du lieu de collecte reste cependant un levier majeur de rentabilité d’une opération. A ce stade, nous avons fait le choix de la centralisation afin de tester l’ensemble de la chaîne du reconditionnement d’un bureau.
Si l’on considère toutes ces enjeux, qu’est-ce qui a motivé Manutan à se positionner sur la seconde main ?
Le Groupe s’est positionné sur l’économie circulaire car nous sommes convaincus que c’est le modèle économique et opérationnel vertueux de demain. C’est un investissement pour l’avenir. Le sujet de la seconde main est non seulement porté par la loi Agec, mais répond aussi à la demande de clients qui cherchent à neutraliser leur empreinte carbone. Nous avons également la conviction que, dans quelques années, ces gisements seront davantage valorisés. Dans un monde où les contraintes d’approvisionnement sont de plus en plus fortes, un produit de seconde main offre l’avantage d’être immédiatement disponible. En prenant ce sujet en main dès maintenant, nous le maitriserons d’autant plus tôt.
Nous nous considérons en interne comme une cellule d’innovation chargée de construire un modèle économique viable basé sur l’économie circulaire
Nous ne sommes pas partis d’un business plan visant à démontrer la rentabilité du modèle dès la première année. Nous nous considérons en interne comme une cellule d’innovation chargée de construire un modèle économique viable basé sur l’économie circulaire. Cela implique d’optimiser les coûts opérationnels, d’éprouver les opérations de reconditionnement, d’identifier les catégories de produits avec un taux de rotation suffisant ainsi que les destinations à partir desquelles la collecte reste économiquement viable.