La supply chain a-t-elle tout à disposition pour attirer et retenir les talents ?
Par Mehdi Arhab | Le | Rh
Le premier club supply chain post pause estivale, qui portait sur les profils et la diversité dans la supply chain, a donné lieu à de vives discussions. Compte-rendu, non exhaustif bien-sûr.
La Supply Chain gagne à être reconnue, mais est-elle vraiment vendeuse de belles histoires comme elle le prétend ? Aux yeux de ses amoureux, bien entendu, mais aux yeux du grand public, elle reste finalement une parfaite inconnue. Et comme si cela n’était pas suffisant, depuis quelque temps désormais, les professionnels soulignent aussi une pénurie des talents sur les métiers de la logistique et du transport. Pourtant, les offres d’emploi sont légion. L’un des invités du club supply chain, DRH de la fonction supply chain d’un grand groupe industriel français, évoque également des difficultés pour attirer des talents du digital dans la direction supply de son entreprise. Et si cette pénurie était finalement liée aux programmes des centres de formation et des écoles ? Quel est le réel pouvoir d’attraction des formations en supply chain ? Les écoles et enseignants ont effectivement leur rôle à jouer pour déconstruire les préjugés « old school » et archaïque sur la Supply Chain, d’une filière industrielle personnifiée par des métiers usants, peu intellectuels.
Présents dans tous les secteurs d’activité, les métiers de la supply chain sont pluriels, mouvants, agiles et, surtout, des composantes essentielles. Pour beaucoup au demeurant, ce sont des fonctions transversales. Sa raison d’être : aligner les fonctions pour mieux collaborer ; coordonner leurs actions ; rassembler l’entreprise et ses tiers, fournisseurs, prestataires, clients, à travers des échanges constants en matière d’organisation, de fonctionnement, de délais, de gestion. Au-delà des aspects de la logistique physique, la Supply Chain intègre le pilotage des flux, les prévisions et la planification ; des flux physiques ; des échanges d’informations financières et une dimension analytique.
Ce qui fait la richesse de la supply chain, c’est son large panel de compétences
Un mix entre opérationnel, simulation et stratégie. N’est-ce pas séduisant ? Bien-sûr que oui, d’autant plus que la supply chain évolue au gré des progrès technologiques, faisant ainsi valoir son agilité. De nouveaux métiers apparaissent en effet au sein de la supply chain, liés à la digitalisation et l’automatisation. Un employé apprend de fait constamment des manières différentes de travailler et ce, parfois, dans des contextes internationaux. Pourtant, peu de jeunes, aussi bien en école d’ingénieurs ou en école de commerce, connaissent les enjeux des fonctions supply chain. « Il y a une véritable méconnaissance de nos métiers. La supply chain, c’est avant tout du bon sens et une large diversité de profils, de l’ingénieur au commercial, en passant par d’autres spécialités. Ce qui fait la richesse de la supply chain, c’est son large panel de compétences », rappelle une responsable supply chain. Comment présenter aux jeunes générations la richesse de cette filière ? Deux étudiants, ayant participé au débat, ont reconnu être tombés dans la marmite de la supply chain un peu par hasard. Le regrettent-ils ? Absolument pas. « C’est une filière très vivante, au centre de tout. Les défis à relever en son sein sont nombreux », explique l’un d’eux.
Des métiers attractifs, qu’il faut présenter
Les métiers de la filière ne manquent pas d’être captivants et franchement intéressants. Mais encore faut-il savoir dire qu’ils le sont. Comme le rappelle Yann De Feraudy, président de l’association de France Supply Chain et chef de séance pour l’occasion, l’un des objectifs du Lab RH, dispositif pensé par la structure, est précisément de favoriser l’attractivité des métiers supply chain auprès des jeunes générations, à travers des actions de valorisation de la filière auprès des étudiants. Mais comment y parvenir quand certains postes ne sont ouverts qu’en Province ? « Avant d’évoquer les compétences recherchées, la géographie est une donnée importante qu’il ne faut pas balayer. Comment recruter certains profils en Province ? Ça peut être un véritable frein à l’embauche », assure l’un des convives. Un étudiant acquiesce, même si pour lui le fait de « s’expatrier » (sic) est moins dérangeant qu’à une époque. « Certaines personnes vivant à Paris veulent en partir et s’installer en Province », embraye une directrice supply chain Europe d’un grand groupe français des cosmétiques.
La pénurie ne s’applique pas spécialement aux profils les plus diplômés, mais aux intérimaires et contrats courts
« Il reste tout de même bien difficile d’attirer des agents logistiques dans certaines régions », tempère un DRH, présent pour l’occasion, qui laisse donc entendre qu’il est quelque peu compliqué de recruter des profils moins qualifiés. « La pénurie ne s’applique pas spécialement aux profils les plus diplômés, mais aux intérimaires et contrats courts », confirme le directeur supply chain d’un grand groupe français du secteur de la santé. « Mais avant de recruter, les entreprises arrivent-elles déjà à retenir leurs employés et leurs meilleurs éléments ? », interroge le VP supply chain d’un grand groupe industriel français, qui pointe le manque de perspectives à la supply dans d’autres entreprises pour lesquelles il a travaillé. « Les jeunes sont attachés à la notoriété et la responsabilité de l’entreprise. Il faut les séduire par ce biais et leur proposer des parcours de formation et d’accompagnement pour les retenir. C’est en mettant nos équipes dans les meilleures conditions, sans nuire à leur créativité que nous pourrons les retenir », explique l’une des convives.
Ascenseur social et place des femmes
De meilleures conditions justement, les femmes en trouvent dans la supply chain. Si elles sont historiquement moins bien représentées que les hommes, elles s’intéressent désormais de plus en plus aux métiers de la supply chain. Les facteurs d’origine de ce déséquilibre sont sans doute nombreux, mais aussi très complexes. Difficile d’évoquer une seule raison. Ce qui est sûr, c’est que la supply chain n’est pas la seule touchée par cette problématique et peut finalement l’être bien moins que dans d’autres lignes de métier. En revanche, quand il est question d’avoir une femme à sa tête, la supply chain peine encore à faire monter en grade des femmes. Elles sont effectivement très largement sous représentées. « C’est une vraie injustice. Il y a un véritable problème dans l’ascension sociale des femmes dans la supply chain », s’exclame l’un des convives, pour qui le management est une question de compétences.
En ce sens, serait-il pertinent d’imposer des objectifs de diversité et d’équité au sein des politiques de recrutement et d’évolution des entreprises ; avec pour dimension clé la féminisation ? Les invités semblaient franchement partagés. Pour eux, la notion de diversité va d’ailleurs bien au-delà dans la supply chain touche bien plus que le cas des femmes : des profils en reconversion, des profils peu qualifiés, des jeunes issus de la « diversité sociale » … La diversité est bien plus que l’équilibre homme-femme.
Par essence, la supply chain marie des compétences et des parcours (de vie, académiques et professionnels) extrêmement larges. Elle doit faire de cela une force. Et des grands groupes l’ont d’ailleurs bien compris, en facilitant le cheminement professionnel de jeunes ne disposant pas des réseaux et des codes du marché du travail. « Nous avons accompagné certains collaborateurs, peu qualifiés ou alors diplômés Bac +2, qui avaient dû stopper leurs études pour des raisons familiales, financières ou par suite de mauvais choix d’orientation. À l’embauche, nous avions repéré chez eux de grandes qualités. Nous leur avons dès lors proposer des parcours de formation et d’évolution professionnelle vers des statuts cadres. Ils avaient commencé comme ouvrier ou techniciens et ont fini par devenir directeur d’usine ou d’atelier. C’est une richesse inestimable », confie l’un des deux DRH présent. Un bel exemple qui permet de rappeler que la supply chain autorise d’y faire carrière et d’aller loin.
Toutefois, comme le rappelle un directeur supply chain, l’ascenseur social n’est pas une chose qui se présente dans toutes les entreprises. Et la supply chain, quand bien même elle dispose d’un côté moins élitiste et de valeurs humaines très fortes, n’a selon lui « évidemment pas le monopole de l’ascension social ».