Transport

Eckes-Granini mise sur le HVO et le rail pour décarboner son transport

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Eckes-Granini France, spécialiste des jus et boissons aux fruits, accélère la décarbonation de son transport en combinant HVO, multimodal et massification des flux. Labellisée FRET21, l’entreprise assume un investissement supplémentaire pour réduire ses émissions. Jorane Sammartano, responsable des flux transport, détaille cette stratégie.

Jorane Sammartano, responsable des flux transport chez Eckes-Granini France - © D.R.
Jorane Sammartano, responsable des flux transport chez Eckes-Granini France - © D.R.

Pouvez-vous nous présenter Eckes-Granini France en quelques mots ?

C’est la filiale française du groupe familial allemand Eckes. Basée à Mâcon depuis la création de la marque Joker, l’entreprise est aujourd’hui spécialiste des jus et boissons aux fruits avec trois marques phares : Joker, Granini et Pago. Depuis plusieurs années, nous portons une démarche RSE structurée autour de plusieurs piliers, dont la réduction de notre empreinte carbone. La décarbonation du transport s’inscrit pleinement dans cette dynamique : c’est aujourd’hui l’un des leviers les plus concrets de notre engagement environnemental.

Comment s’organise aujourd’hui votre logistique en France ?

Nous disposons d’un seul site logistique, à Mâcon, directement relié à notre site de production. Tous nos produits sont stockés chez notre prestataire, qui se trouve juste à côté de l’usine. Les deux sites sont reliés par des passerelles équipées de convoyeurs, ce qui nous évite d’avoir recours à des navettes ou des trajets intermédiaires. Les palettes sortant de production sont directement acheminées vers la zone de stockage. Cette organisation compacte et automatisée nous permet de réduire les trajets internes, de limiter les émissions de CO₂ et de fluidifier nos opérations logistiques.

Ce plan d’action nous a permis de réduire de 7,7 % nos émissions de CO₂ liées au transport.

Eckes-Granini est labellisé FRET21 depuis 2024 - un dispositif porté par l’ADEME (Agence de la transition écologique) pour aider les entreprises à réduire les émissions liées à leurs transports. Qu’est-ce que cela implique concrètement pour vous au quotidien ?

Nous étions déjà engagés dans le dispositif FRET21 entre 2020 et 2023. Ce plan d’action nous a permis de réduire de 7,7 % nos émissions de CO₂ liées au transport. L’obtention du label FRET21 en 2024 est venue reconnaître la qualité de notre démarche et la fiabilité du suivi que nous avons mis en place. Sur le terrain, cela s’est traduit par des actions très concrètes : l’optimisation du taux de chargement, la mutualisation des livraisons et l’amélioration de la palettisation. Nous cherchons à massifier les flux pour réduire le nombre de trajets, tout en maintenant un haut niveau de service.

Nos équipes commerciales s’appuient sur le label pour présenter à nos clients les actions que nous menons et les progrès réalisés

Qu’est-ce que le label FRET21 vous apporte concrètement ?

Le label nous apporte avant tout de la crédibilité. Il atteste de la rigueur de notre démarche et garantit la fiabilité des données communiquées. C’est aussi un cadre reconnu, piloté par l’ADEME, qui permet de valoriser nos résultats. C’est enfin un outil de communication. Nos équipes commerciales s’appuient sur le label pour présenter à nos clients les actions que nous menons et les progrès réalisés. C’est un moyen de concrétiser notre engagement RSE et de montrer que la logistique peut être un levier de durabilité.

En interne, cela exige un pilotage plus fin : regrouper les envois, suivre les taux de remplissage, coordonner les transporteurs…

Et quelles contraintes cela représente-t-il au quotidien ?

La principale contrainte c’est d’arriver à concilier nos objectifs environnementaux et réalité opérationnelle. Nous devons constamment dialoguer avec nos clients pour les inciter à privilégier les camions complets et à anticiper leurs commandes. Ce n’est pas toujours simple, mais cela permet d’optimiser nos flux. En interne, cela exige un pilotage plus fin : regrouper les envois, suivre les taux de remplissage, coordonner les transporteurs… C’est un travail quotidien, mais c’est aussi un vrai moteur d’amélioration continue.

Cet engagement relève-t-il d’une démarche volontaire ou répond-il plus largement à l’évolution des attentes sociétales ?

C’est une démarche totalement volontaire. Dès 2020, Eckes-Granini s’est interrogé sur la meilleure manière d’optimiser ses livraisons et de réduire son impact carbone. Ce n’était pas une injonction du siège ni une demande des clients : la décision a été prise localement, par conviction. Aujourd’hui, les clients s’intéressent davantage à ces sujets, mais notre démarche était déjà bien engagée. Cela nous a permis d’anticiper les attentes du marché et d’avoir une longueur d’avance en matière de transport durable.

Vous avez également initié un report modal vers le ferroviaire. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Nous avons d’abord mis en place un flux rail-route pour nos matières premières entre Calais et Mâcon. Depuis début 2025, nous avons également lancé une expérimentation sur la distribution vers nos clients avec un acheminement combiné route-rail. Aujourd’hui, le ferroviaire représente environ 2 % de nos volumes. C’est encore une phase pilote, menée avec trois bases logistiques de la grande distribution, mais les premiers résultats sont très positifs : les délais sont respectés et les livraisons sont stables. C’est une première étape avant de monter en puissance sur ce mode de transport.

Nous sommes accompagnés par le programme Remove, soutenu par l’ADEME, qui nous aide à identifier les flux éligibles et les opérateurs ferroviaires capables de répondre à nos besoins.

Le ferroviaire n’est pas toujours simple à mettre en place. Quels sont les principaux défis ?

C’est un mode vertueux, mais exigeant. Les créneaux ferroviaires disponibles sont rares, et les terminaux ne sont pas toujours situés à proximité des sites clients. Nous sommes accompagnés par le programme Remove, soutenu par l’ADEME, qui nous aide à identifier les flux éligibles et les opérateurs ferroviaires capables de répondre à nos besoins. Pour être pertinent, un flux multimodal doit relier un client dont la base est à moins de 100 km d’un terminal ferroviaire. Cela limite les opportunités, mais nous avons déjà identifié plusieurs pistes de développement. L’objectif est d’étendre ce modèle à dix bases d’ici 2026.

Vous utilisez aussi le carburant HVO (Huile végétale hydrotraitée). Comment ce projet s’est-il mis en place ?

Depuis le 1er avril, 28 % de nos kilomètres sont réalisés en HVO, un carburant renouvelable issu d’huiles végétales, de graisses animales ou de déchets gras. Nous avons attribué certaines lignes à des transporteurs engagés à les réaliser en carburant alternatif. Le système repose sur un principe de “masse balance” : le transporteur réalise un nombre équivalent de kilomètres en HVO, parfois pour un autre client, et nous fournit un certificat attestant du volume et des économies de CO₂ correspondantes. Le stockage est entièrement géré par les transporteurs. Ils s’approvisionnent en HVO selon les kilomètres qu’ils réalisent pour Eckes-Granini, ce qui nous évite d’investir dans des infrastructures dédiées tout en garantissant la traçabilité du dispositif.

Décarboner, ça coûte cher, mais c’est un parti pris assumé. Nous savons qu’en nous engageant pour la RSE, il faut accepter un surcoût.

Ce carburant représente un surcoût. Comment l’entreprise l’intègre-t-elle dans son modèle économique ?

Une offre en carburant alternatif coûte environ 4 à 5 % plus cher que le gasoil. Nous avons fait le choix d’intégrer ce surcoût dans notre budget transport, parce que nous savons que c’est un investissement nécessaire. Décarboner, ça coûte cher, mais c’est un parti pris assumé. Nous savons qu’en nous engageant pour la RSE, il faut accepter un surcoût. C’est une décision cohérente avec notre politique d’entreprise, et une manière de soutenir nos partenaires transporteurs dans la transition énergétique. Quand nous avons présenté le budget logistique, plusieurs hypothèses ont été étudiées, et c’est l’hypothèse “décarbonation +” qui a été retenue, même si elle dépassait légèrement le budget initial. Nous savons qu’il faut avancer, et nous avons choisi d’investir.

Comment mesurez-vous les effets de vos actions ?

Nous disposons d’un outil de suivi développé par un prestataire externe qui centralise l’ensemble de nos données transport : kilomètres parcourus, parts de HVO, volumes en rail-route, taux de chargement… Chaque année, nous transmettons ces données à FRET21. Cela nous permet de mesurer précisément les économies réalisées et de suivre nos progrès. Par exemple, le multimodal nous permet déjà d’éviter plus de 105 000 kilomètres routiers par an. Ce suivi précis est essentiel : il nous donne une vision claire de l’impact de nos actions et nous permet de piloter nos décisions sur des bases factuelles.

Quelles seront vos priorités pour 2026 ?

Notre priorité est de poursuivre la montée en puissance du multimodal et des carburants alternatifs. Nous faisons partie de l’AUTF, l’Association des Utilisateurs de Transport de Fret, ce qui nous permet d’échanger avec d’autres industriels sur leurs initiatives et d’identifier de nouvelles solutions. Pour 2026, nous visons 50 % de nos kilomètres réalisés en HVO et l’extension du rail-route à davantage de bases clients. L’objectif est de trouver le bon équilibre entre ambition environnementale et contraintes économiques.