L’Oréal : « La collaboration avec les retailers est un sujet extrêmement important pour l’Oréal »
Sandrine Torandell, directrice supply chain monde, Consumer Product Division explique l’importance d’établir une relation de collaboration approfondie avec les distributeurs pour progresser en matière de taux de service aux clients. Elle sera grand témoin des Supply Days des 17 et 18 octobre à Deauville sur l’atelier « #Synergies : créer de la valeur par la collaboration entre retailers et industriels ».

Quelle importance revêt pour vous la collaboration avec les retailers qui distribuent vos produits ?
La collaboration avec les retailers est un sujet extrêmement important pour l’Oréal. Nous avons créé un programme « Customer First », dont c’est l’axe de travail principal. Ce programme, placé sous le sponsorship du directeur général Développement des marchés, Fabrice Megarbane et incarné par le directeur supply chain groupe, Damien Decouvelaere, implique également le directeur général Opérations, Antoine Vanlaeys. Derrière « Customer First », on touche à la notion de satisfaction client, ce qui, dans notre secteur est très lié à la notion de service, c’est à dire notre capacité à fournir le produit voulu, dans le lieu et à l’instant où le client en a besoin. La satisfaction client est notre boussole pour toute nos décisions, tout de suite suivie par la notion de service. Pour arriver à l’excellence dans un environnement aussi mouvant que celui dans lequel nous évoluons depuis plusieurs années, nous avons un très fort besoin d’agilité et pour cela, la collaboration est clé ; collaboration en amont avec nos fournisseurs et, au niveau du business, avec nos retailers.
Nous avons, par exemple, mis en place avec Amazon une organisation dédiée permettant de répondre à leurs besoins spécifiques et désigné un point de contact unique pour toute la Supply Chain Europe
Que faites-vous en commun avec vos distributeurs pour tendre vers l’excellence opérationnelle ?
Proposer un transactionnel fluide et des services optimisés sont des prérequis incontournables si nous voulons passer à un niveau de relation plus élevé avec nos distributeurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre de l’énergie à gérer des litiges prix, des commandes livrées par fax, des catalogues pas à jour, un plan de promo mal fait… Nous pouvons progresser sur ces sujets pointés du doigt par nos clients comme des irritants en déployant de nouveaux outils, en mettant en place de nouvelles organisations, ou encore en déportant un collaborateur chez le retailer pour travailler sur des catalogues synchronisés. Nous avons, par exemple, mis en place avec Amazon une organisation dédiée permettant de répondre à leurs besoins spécifiques et désigné un point de contact unique pour toute la Supply Chain Europe qui a légitimité à s’exprimer au nom de toutes les divisions tout en maintenant nos spécificités de Marques.
Nous veillons aussi à mesurer notre performance et avons, par exemple, mis en place une enquête de satisfaction client désormais étendue à l’ensemble des divisions du Groupe, tous les canaux (B2B, coiffeurs, pharmacies, parfumeries,…) et le scope est récemment devenu worldwide. Cela nous permet de construire des plans d’actions concrets en vue de cette excellence opérationnelle.
Collaborer avec un retailer est de nature à changer la donne, parce qu’il a accès à beaucoup plus d’informations que nous
Quelle est l’étape supérieure de collaboration au-delà de ce travail sur l’opérationnel ?
L’accroissement du taux de service. C’est un problème sur lequel l’industriel a une énorme responsabilité mais dont les solutions se trouvent dans la collaboration avec les retailers, en particulier en matière de prévision de ventes. C’est un enjeu majeur qui conditionne un tiers de nos ruptures. Collaborer avec un retailer est de nature à changer la donne, parce qu’il a accès à beaucoup plus d’informations que nous, à travers son écosystème complet, au-delà de nos seuls produits.
Nos ventes peuvent par exemple être impactées, par effet de bande, par un phénomène de pénurie de matière qui se joue en dehors de notre industrie et provoque un à-coup sur notre production que nous ne pouvons pas assumer tout en restant fidèle à notre credo de démocratiser la beauté en proposant au consommateur les prix les moins chers.
Dans quelle mesure les distributeurs vous permettent-ils d’accéder à la donnée de leurs points de vente ?
Nous avons toujours collaboré sur nos forecasts avec les retailers, souvent de manière informelle et peu structurée en termes d’outils. Lorsque nous faisons une promotion, par exemple, il n’est pas possible de l’appliquer d’un bloc à tous les magasins, quelle que soit leur taille ou leur localisation. La segmentation de notre catalogue doit être en adéquation avec celles des points de vente et nous ne pouvons pas le faire seul.
En Allemagne un distributeur avait accepté, dans le cadre d’une opération pilote, que nous prenions contact avec leurs magasins pour leur demander de faire des inventaires ponctuels
Nous devons aussi pouvoir détecter des anomalies, par exemple l’existence de stocks fantômes dans un magasin victime de vols, un risque qui touche particulièrement les produits cosmétiques. La centrale d’achats du retailer ne commande pas de nouveaux produits pensant avoir un stock qui, en réalité, n’existe pas. Nous percevons des signes de cette anomalie, lorsqu’un produit qui a un très fort taux de rotation moyen n’a pas été commandé dans un point de vente en particulier. Je peux en informer le point de vente et lui demander de vérifier visuellement, en rayon, la présence de ce produit. En Allemagne un distributeur avait accepté, dans le cadre d’une opération pilote, que nous prenions contact avec leurs magasins pour leur demander de faire des inventaires ponctuels.
C’est typiquement une tâche pour laquelle il peut être utile d’avoir un collaborateur en poste chez le retailer ce que nous avons fait, par exemple, au Royaume Uni avec Superdrug. Nous n’aurions d’ailleurs aucune difficulté à investir dans cette mission, puisqu’elle peut nous permettre de générer des ventes supplémentaires. Nous sommes aussi prêts à investir dans l’exploitation de la data des points de vente, pas sous un angle intrusif mais pour créer de la valeur.
Vous êtes-vous posé la question d’interconnecter vos bases de données ?
Nous développons en effet des interfaces pour nous connecter sur les outils des distributeurs. La difficulté n’est pas technique. Les trois obstacles qui sont susceptibles de s’opposer au partage de cette data sont le manque de temps, de volonté et la crainte de ce que nous ferons de cette data. Certains distributeurs peuvent aussi avoir la tentation de la monétiser. Nous nous y refusons. A l’inverse, il n’est pas question pour nous d’être destinataire de toute la data, à charge pour nous de faire tout le travail de traitement. Il faut que la valeur générée par cette analyse soit équitablement partagée entre le retailer et nous.
Ma conviction c’est que la transparence finit toujours par payer
Parvenez-vous à instaurer un climat de confiance, en dépassant la relation commerciale avec les distributeurs ?
Ce travail sur l’amélioration de nos services peut en effet être pollué par des tensions commerciales et il existe encore des clients qui refusent de partager les données sur leurs stocks en point de vente.
Ma conviction c’est que la transparence finit toujours par payer. Lorsque la relation commerciale risque d’être un élément perturbateur, il est nécessaire d’établir une discussion au niveau des métiers. D’un côté comme de l’autre, les équipes de la supply chain ont cet objectif commun de faire avancer les choses et de viser l’excellence. Ce qui est un problème sur l’inbound - de notre côté - deviendra rapidement une problématique d’outbound - chez le retailer. Si notre taux de service n’est pas bon, le taux de service du magasin ne sera pas bon non plus. La confiance vient naturellement à condition de s’affranchir d’une relation focalisée sur les prix et les négociations.
L’an dernier, nous avons par exemple invité nos clients importants à visiter nos usines pour qu’ils prennent la mesure de son fonctionnement. Cela nous a permis de discuter entre gens de bonne volonté de notre stratégie et de nos intentions.
Et de votre côté, quelles limites êtes-vous susceptibles de poser à ces collaborations ?
Rien ne s’oppose, en principe, à l’approfondissement de ces collaborations mais elles sont consommateurs en temps. Pour que cela se justifie aux yeux du retailers, il faut donc représenter des volumes conséquents et des taux de rotation importants. C’est aussi vrai pour nous.
Il est important de s’interroger avec les distributeurs sur les freins actuels à la collaboration et les limites que chacun veut se donner, en gardant à l’esprit que chacune des deux parties doit être gagnante. Ce genre de collaboration n’est d’ailleurs pas strictement bilatéral et peut aussi impliquer des partenaires multiples.