Pour être verte, la logistique devra être négociée sur les territoires
Par Guillaume Trecan | Le | Green
Une Journée de conférences organisée par France Logistique à l’Assemblée nationale sur le thème « de la planification écologique pour la filière transport et logistique » a mis en exergue le lien entre objectifs de décarbonation et acceptation citoyenne du développement des infrastructures logistiques et des flux physiques.
En position de consommateurs, les citoyens plébiscitent l’e-commerce, mais en tant que riverains et électeurs, ils rejettent les flux logistiques qu’ils impliquent. C’est un des paradoxes que la filière logistique doit résoudre et qui complexifie une mission de décarbonation déjà bien ardue. Présidente du groupe d’études attractivité économique et export à l’Assemblée nationale, la députée Marie Lebec, n’a pas manqué de souligner ce hiatus en ouvrant la journée de la filière logistique organisée, le 9 novembre par France Logistique. « Quand on parle décarbonation, on parle aussi de l’acceptation sociale des conséquences de la logistique », souligne ainsi cette élue des Yvelines, par ailleurs vice-présidente du groupe Renaissance.
La transition écologique c’est un processus dont les premières étapes ne sont pas joyeuses
Une croissance verte mais douloureuse
Marie Lebec s’efforce d’apporter une touche d’optimisme derrière ce constat en rappelant la croyance du gouvernement dans une « croissance verte ». « La croissance verte n’est pas en opposition avec le développement économique des filières. Cela peut être un avantage compétitif », veut-elle croire. Un optimisme tempéré par le directeur général du think tank Terra Nova qui prédit : « la transition écologique c’est un processus dont les premières étapes ne sont pas joyeuses. »
A entendre les industriels présents à ce colloque, ils n’ont encore qu’une approche très partielle du sujet. Le groupe métallurgiste Arcelor Mittal, qui produit onze millions de tonnes d’acier par an en Europe avec une quarantaine de sites en France s’est bien engagé à baisser de 35 % ses émissions d’ici à 2030, fort de la conviction qu’il est important, d’un point de vue positionnement concurrentiel de proposer des « solutions vertes de bout en bout à ses clients ». Mais ses moyens pour réduire l’empreinte carbone de son transport semblent bien limités.
L’économie circulaire entraînera plus de flux
« Nous devons repenser nos processus internes et revoir de manière innovante comment nous produisons de l’acier. Pour cela, nous allons vers plus de recyclage. Nous allons devoir gérer en interne la partie optimisation mais aussi l’approvisionnement de nos flux. Il va y avoir une baisse de certaines matières, les matières fossiles et nous allons augmenter d’autres flux, par exemple le scrap ou les ferrailles », explique le directeur achats transport Europe, Liem Hazoumé, éclairant au passage cet autre paradoxe : l’économie circulaire ne diminuera pas les flux de transport, au contraire !
La circularité va amener des nouveaux besoins en termes de transport. Les points de collecte vont devoir être multipliés
La directrice stratégie du groupe Saint-Gobain, Noémie Chocat, confirme ce point. Sous la pression de la REP (responsabilité élargie aux producteurs) du secteur bâtiment qui produit 240 millions de tonnes de déchets par an en France, Saint-Gobain va devoir trier en sept flux distincts ses déchets, selon leur nature (bois, plâtre, carton, métal…). « La circularité va amener des nouveaux besoins en termes de transport. Les points de collecte vont devoir être multipliés. Nous allons probablement avoir le développement de flux de plus de petits camions là où nous avons aujourd’hui des bennes de grand volume où tous ces types de déchets sont mélangés », confirme Noémie Chocat. Le développement du réemploi va aussi augmenter les flux de transport, par exemple l’installation de cloisons démontables et réutilisables sur les chantiers de Paris 2024, qui impose des transports, du stockage et des conditionnements supplémentaires.
Décarboner les flottes de manière radicale
Le leader des matériaux de construction ne reste pas pour autant inactif, puisqu’il conduit un programme ambitieux de décarbonation de sa flotte de camions qui a notamment valu à sa filiale Point P un trophée à la Nuit de la Supply de Républik en 2022. Point P n’achète désormais plus aucun véhicule diesel, a réduit 26 % ses émissions par rapport à 2017 et vise -50 % d’ici 2025. Evidemment, la direction supply chain œuvre aussi sur tous les fronts en optimisant ses taux de chargement et en affinant ses plans de transport, mais cela sera-t-il suffisant.
« Les différents facteurs plaident plutôt pour une diminution quantitative des flux globalement. Mais la question n’est pas tellement celle du flux global quantitatif. Ce qui compte, c’est leur complexité, leur organisation, les coûts de transition. On ne peut pas réduire la question à ″est-ce que cela monte ou est-ce que cela baisse ?″. Les flux pourraient baisser et être en même temps beaucoup plus complexes et, finalement, beaucoup plus importants en valeur », commente Thierry Pech.
Nous avons besoin du développement d’infrastructures, en particulier sur le ferroviaire
Et la situation n’est pas plus simple à envisager en ce qui concerne la possibilité des pouvoirs publics d’accompagner ces défis. Du côté d’Arcelor Mittal, les attentes sont grandes au niveau du développement du ferroviaire, à commencer par la sauvegarde des wagons isolés. Le groupe fait rouler 4 000 trains par an, transportant jusqu’à 4 000 tonnes chacun. « Nous avons besoin du développement d’infrastructures, en particulier sur le ferroviaire », confirme Liem Hazoumé, qui plaide aussi pour le développement d’infrastructures sur l’axe nord sud, allant de Dunkerque à la frontière espagnole.
Pour Noémie Chocat, les pouvoirs publics doivent avant tout proposer un cadre réglementaire clair et cohérent, le contre-exemple étant à ses yeux les ZFE, dont le déploiement est erratique et pas unifié sur le territoire. Un point de vue en contradiction avec celui des élus locaux qui ont eu l’occasion d’illustrer la nécessité de ramener à l’échelle territoriale ces questions.
Je suis en charge du bien être des habitants en même temps que du développement économique
Le maire de Hem et vice-président de la métropole européenne de Lille Francis Vercamer, rappelle ainsi : « je suis en charge du bien être des habitants en même temps que du développement économique ». Une double mission qui tourne au casse-tête dans une métropole lilloise où les friches industrielles sont imbriquées dans la ville, en l’occurrence sur les anciens sites textiles imbriqués dans le tissu urbain de Tourcoing.
Pour le député EELV d’Indre et Loire, rapporteur d’une mission d’information sur le déploiement des entrepôts de grande taille, Charles Fournier, le développement de la logistique sur les territoires doit être pensé au cas par cas. « Il est aberrant, quand on implante une giga-factory dans un territoire de ne pas penser à tout ce que cela va générer autour, en termes de logistique d’habitat salarié, de déplacements », plaide-t-il, insistant sur la nécessité de « se doter d’expertises pour penser la logistique dans un territoire ».
Sur ce point, Thierry Pech le rejoint, confirmant que la croissance de la logistique, pour être verte, ne sera pas simple. « On réussira la transition écologique si elle est bien négociée. Il faut que nous soyons prêts à négocier cela et que tout le monde prenne sa part dans l’exercice », conclut le directeur général de Terra Nova.