Stratégie supply

Les chargeurs décuplent leurs efforts pour réduire leur émissions mais doivent accélérer

Par Mehdi Arhab | Le | Green

Sightness, qui porte une solution SaaS d’analytique transport, a publié les résultats de son étude qui repose sur les rapports RSE des entreprises du CAC 40. L'éditeur revient, en profondeur, sur leurs démarches d’achats (responsables) transport et leurs pratiques aussi bien en matière de report modal, d’innovation et de pilotages des opérations transport.

Les chargeurs décuplent leurs efforts pour réduire leur émissions mais doivent accélérer
Les chargeurs décuplent leurs efforts pour réduire leur émissions mais doivent accélérer

Comment concilier transport de marchandises et environnement ? Dans un monde dans lequel la recherche de croissance est quasi-constante, où les habitudes de consommation frôlent, par instants, presque l’absurde, il semble bien difficile de le faire. Pourtant, chargeurs et transporteurs doivent collaborer au risque de ne pas parvenir à retourner la situation ou, plus précisément, réduire les émissions carbones du transport. Les volumes de marchandises transportés sont toujours plus importants et, derrière, se cache l’impératif de décarbonation. Une urgence absolue qui appelle, comme le rappelle Sightness dans son étude basée sur l’analyse des rapports publics les plus récents des entreprises du CAC 40, à une modération de l’activité. 

Mais, évidemment, il n’en est rien. Et il est fort probable qu’il n’en sera rien. Il est à noter toutefois que la décarbonation du transport de marchandises est aujourd’hui un élément majeur de la feuille de route de bon nombre d’entreprises. Preuve en est, alors que Sightness a notamment recherché l’occurrence de mots-clés spécifiques au sein des rapports de toutes les entreprises du CAC 40 (partie quantitative de l’étude), le terme « supply chain » apparaît dans 36 des 40 rapports analysés, la thématique transport est aussi présente, mais moins en force.

Sur les 40 entreprises retenues, seulement 18 traitent bien, voire très bien, du sujet. Le terme « logistique » apparaît quant à lui dans 16 rapports.  Parmi les entreprises du CAC 40, Sightness indique que cinq semblent accorder une attention particulière aux sujets étudiés : Essilor Luxottica, Kering, Renault, Schneider Electric et Stellantis. Les thèmes du Transport, de la Supply Chain, de la Logistique semblent effectivement revêtir une importance toute particulière, les entreprises les abordant régulièrement dans leur document. L’approche qualitative de Sightness s’appuie sur le contenu DEU de 23 entreprises, desquels sont ressortis les thèmes précédemment cités.

Achats responsables et énergies alternatives

Il apparaît que de nombreux donneurs d’ordre incluent désormais dans leurs appels d’offres pour transport des critères de durabilité. Essilor Luxottica a par exemple intégré le développement durable comme critère de sélection pour ses transporteurs. Alstom ou encore Hermès ont renforcé le pilotage de la relation fournisseurs en la matière, explorant avec leurs partenaires transports de nouvelles pistes pour décarboner leurs opérations. L’objectif, bien sûr, est de dénicher des nouveaux moyens de transport plus respectueux de l’environnement. Chez Hermès, les prestataires retenus sont tenus d’utiliser des carburants plus durables tels que le bioGNV, le SAF et le SMF, provenant de fournisseurs certifiés. De son côté, L’Oréal sélectionne et évalue ses fournisseurs de transport en fonction de leur politique environnementale et sociale. 

De nombreuses entreprises optent ainsi pour l’utilisation directe ou indirecte de véhicules à énergie alternative dans leur flotte propre ou par le biais de leurs prestataires. La quasi-totalité des 23 donneurs d’ordres, dont les documents ont été analysés de façon approfondie, mentionnent leur utilisation. Le groupe Renault s’appuie de plus en plus sur une flotte de camions fonctionnant avec des sources telles que le biogaz ou le biofuel. Le géant de l’automobile revendique avoir évité l'émission de 584 tonnes de CO2 équivalentes grâce à la mise en place de 4 650 camions fonctionnant au gaz naturel (bio GNV et GNV), en collaboration avec trois partenaires en France, essentiellement pour sa logistique entrante. Le groupe compte également des solutions électriques à partir de 2025. Pour ce qui concerne Hermès encore, livraisons en centre-ville à partir des entrepôts locaux, sont désormais effectuées au moyen de véhicules électriques ou hybrides dans la mesure du possible.

Le report modal gagne du terrain

Pour bon nombre de chargeurs, le report modal apparaît comme une solution de choix pour verdir ses opérations transport. Mais pour ne pas s’écrouler d’un point de vue business, mieux vaut par instants allonger le temps entre la commande et la livraison. La notion d’urgence se fera alors moins ressentir. Michelin, qui affiche depuis quelques années son souhait d’innover en la matière en recourant au transport à voile par exemple, déploie des solutions multimodales en Europe et aux États-Unis, avec près de 7 % et plus de 25 % des flux opérant par voie ferroviaire ou maritime respectivement. Le groupe a par ailleurs lancé des appels d’offres pour transférer une part de son transport routier vers le ferroviaire, notamment en Amérique du Nord. Pour rappel, Michelin a rejoint la Coalition des Chargeurs pour un transport maritime décarboné, lançant deux appels d’offres pour un service transatlantique de containers propulsé par la force vélique. Une solution qui s’inscrit dans une logique de préservation des ressources et de réduction (drastique) des externalités négatives sur l’environnement. 

Ikea a semble-t-il fait des émules. Pour preuve, Saint-Gobain, via sa filiale Point P, encourage le transport fluvial en région parisienne. Une manière pour le groupe de détendre la circulation routière. De son côté, le mastodonte Stellantis opère une route maritime régulière entre Saint-Nazaire et Vigo, réduisant de 1 300 km le trajet de chaque camion, diminuant ainsi la congestion et les émissions. Comme d’autres, le géant Renault attend de pied ferme la construction par Neoline de navires cargos propulsés par le vent. À l’instar d’Izipizi, Essilor Luxotica a réduit de façon exponentielle son fret aérien pour le transport de verres venus d’Asie. La transition s’est faite vers le maritime … et le terrestre notamment pour les sites de fabrication en Chine vers le Vietnam et la Thaïlande, et des Philippines et Thaïlande vers d’autres entités asiatiques. L’Oréal s’en est presque totalement défait, ne transportant par voie aérienne que 0,2 %, en poids, de ses produits. 

Sans outil, difficile d’optimiser ses opérations

Pour accompagner toutes ces initiatives, les donneurs d’ordre se sont outillés et en masse pour certains. L’utilisation d’outils digitaux a ainsi connu une progression marquée et un peu plus de la moitié des entreprises du CAC 40 en ont parlé en 2022. Safran est de son côté en train de mettre à jour son ERP et cela devrait notamment lui permettre d’optimiser très largement la gestion de sa supply chain. 

Carrefour a fait du digital un facteur de performance global, l’aidant à mieux gérer ses flux logistiques et à planifier ses tournées de la meilleure manière qui soit. Pour beaucoup, c’est aussi un moyen de mieux optimiser le remplissage des camions et d’éviter qu’ils ne roulent à vide, ou du moins, en partie. Et pour cause, plus le véhicule est rempli, plus la prestation de transport est rentable, et plus l’empreinte sur l’environnement de la prestation par unité sera minime. 

La mutualisation est un levier qui pourrait bien être utile, d’autant que, comme le rappelle Sightness, elle peut être envisagée sous différentes formes. Mais plus que la mutualisation, ne frauderait-il pas à terme réduire la fréquence de livraison ? Un sujet pour le moins épineux qui aurait, forcément, des conséquences business extrêmement importantes pour les chargeurs. Et il n’est pas sûr qu’ils y consentent … Pourtant, la réduction de la fréquence de livraison permet de consolider les expéditions et donc de pouvoir optimiser le taux de remplissage.